Mikaël Hirsch - L'assassinat de Joseph Kessel
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août 2021
160 pages
ISBN : 9791090175822
4ème de couverture :
Durant l’entre-deux-guerres, Paris devient le port d’attache d’immigrants russes ayant fui la révolution bolchevik. Au soir du 19 juin 1926, le célèbre anarchiste ukrainien Nestor Makhno, blessé, affaibli et privé de tout, traque Joseph Kessel pour lui faire la peau. Dans Makhno et sa juive, l’écrivain en effet dépeint le révolutionnaire sous les traits d’un monstre assoiffé de sang et accède à la célébrité en lui volant la dernière chose qui lui reste : sa légende !
C’est dans ces bas-fonds de Pigalle que Makhno, pistolet en poche, se retrouve nez à nez avec Kessel. Et se voit embarqué à boire, écouter des discours, des chants, dans une folle soirée interlope jusque dans une fumerie d’opium où l’on croise… Cocteau et Malraux.
Dans un combat où bourreaux et victimes échangent parfois leur rôle, ce ne sont plus deux individus qui s’affrontent pour la gloire et contre l’oubli, mais bien la réalité et la littérature qui se jaugent et se défient à travers eux.
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Pigalle, lieu où les noctambules retrouvent les russes blancs ou autres, peut-être espions. Les nobles russes sont devenus musiciens de boîtes de nuit, les moins chanceuses, louent leurs charmes et plus si affinité. « La Révolution n’a pas aboli les injustices ou les différences de traitement… mais à Paris, les princes ouvrent désormais la porte des boîtes de nuit. Les dames de la noblesse sont entraîneuses ou marchandes fleurs, tandis que les anarchistes en disgrâce fabriquaient des chaussures à domicile. Seul l’exil avait mis tout le monde à égalité. »
Kessel vient publier « Makhno et sa juive » qui connaît un franc succès. L’auteur y dépeint Makhno comme « unique responsable de tous les pogroms qu’avait connu l’Ukraine dans les années qui suivirent la révolution d’Octobre ». Il n’a même pas pris le temps de vérifier ses sources « Recopiant de larges passages d’un mémoire édité à Berlin par l’ancien colonel blanc Guerassimenko, Kessel, juif né en Argentine, mais d’origine russe, y dépeignait Makhno en monstre assoiffé de sang ». Or ce colonel blanc est une taupe rouge !!
Makhno, fils de paysan russe devenu révolutionnaire chevronné est chassé par les bolcheviques et doit s’exiler à Paris où il se retrouve, grandeur et décadence, ouvrier aux usines Renault à Billancourt. Il a connaissance du texte de Kessel où le révolutionnaire est décrit comme sanguinaire. Vous comprendrez que ce n’est pas du goût de Makhno. Comment cet intello ose-t’il écrire ce tissu de mensonges sur lui, sur sa légende ? Le sanguinaire, ce n’est pas lui, même s’il n’a pas les mains très blanches, il était à la tête de La Maknovchtchina forte de cinquante mille hommes, il était un véritable anarchiste ukrainien, pas un sanguinaire !
Mikaël Hirsch les fait se rencontrer le 19 juin 1926, au Matriochka où Kessel a ses habitudes de fêtard noctambule. L’un est là pour faire la fête, l’autre pour le tuer. « Ce soir de juin 1926, ce n’était pas un procureur que Makhno s’apprêtait à tuer, pas même un juif en réalité, mais seulement un écrivain, un intellectuel prompt à juger et à théoriser ce qui, en réalité ne pouvait relever de la langue. »Commence une soirée de folie où j’ai éclaté de rire en lisant la description de Malraux, débraillé, complètement soûl, faisant la chenille au son des violons
« On ne devrait jamais boire avec les gens qu’on va tuer », et oui, Makhno on ne devrait pas !
Le livre va au-delà de la nuit de délire. Mikaël Hirsch pose la question de la dangerosité du livre, de la supériorité de la littérature sur l’action, de l’écrit qui reste sur l’oral qui disparaît, les mots peuvent tuer... et, en extrapolant, le danger de l’instruction « L’idéal qu’il avait incarné devait continuer à vivre » sous forme de mythe, mais un écrivain qui se prétendait pourtant homme d’action venait lâchement de s’attaquer à lui à l’aide de la seule arme qu’il ne maîtrisait pas : les mots », surtout en français, langue qu’il ne maîtrise pas du tout.
« Il en voulait à ceux qui maniaient la fourberie linguistique. Il jalousait les écrivains pour leur capacité à convaincre et les maudissait tout à la fois pour les abus auxquels ils se livraient sans retenue. Le prestige qui leur était accordé, particulièrement dans cette nation française qui se targuait d’avoir produit Saint-Simon et Flaubert, confinait invariablement à l’abus de pouvoir. »
Mikaël Hirsch sait me faire voyager dans le temps. Avec Libertalia, j'ai suivi la statue de la Liberté aux USA, Notre Dame des vents m’a conduite aux îles Kerguelen, avec les hommes, au coeur d’une création littéraire et...toujours avec le même plaisir.
Définitivement, j’aime le style de l’auteur. Les voyages, la quête identitaire, la fuite en avant sont encore présentes dans L’assassinat de Joseph Kessel, livre à la fois passionnant, fort bien écrit et mené, intrigant qui pousse à en savoir plus sur Makhno dont j’ignorais tout
J'adore l'ironie de la photo de couverture dont j'ai trouvé la traduction en début du livre "A bas ! l'alcool est l'ennemi de la révolution culturelle"... Quand je lis l'état d'ébriété de kessel lors de cette fameuse journée....