Jean-Luc Seigle - En vieillissant les hommes pleurent
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En vieillissant les hommes pleurent
Jean-Luc Seigle
Editions Flammarion
Janvier 2012
252 pages
ISBN : 9782081257610
4ème de couverture :
9 juillet 1961. Dès le lever du jour, il fait déjà une chaleur à crever. Albert est ouvrier chez Michelin. Suzanne coud ses robes elle-même. Gilles, leur cadet, se passionne pour un roman de Balzac. Ce jour-là, la télévision fait son entrée dans la famille Chassaing. Tous attendent de voir Henri, le fils aîné, dans le reportage sur la guerre d’Algérie diffusé le soir même. Pour Albert, c’est le monde qui bascule. Saura-t-il y trouver sa place ? Réflexion sur la modernité et le passage à la société de consommation, En vieillissant les hommes pleurent jette un regard saisissant sur les années 1960, théâtre intime et silencieux d’un des plus grands bouleversements du siècle dernier.
L’auteur (site de la maison d’édition) :
Romancier, scénariste et dramaturge, Jean-Luc Seigle est l’auteur de En vieillissant les hommes pleurent (Grand Prix RTL-Lire 2012), Je vous écris dans le noir (Grand Prix des lectrices de Elle et Grand Prix des lycéennes 2016) et Femme à la mobylette (2017), ainsi que de la pièce de théâtre Excusez-moi pour la poussière (2016), tous publiés chez Flammarion.
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"Lui seul avait le moyen de faire revenir Henri"
Une journée dans la vie d’un homme, Albert Chassaing, un nom qui fleure bon son Auvergne !
Paysan qui, fuyant la misère de la terre, Albert devient ouvrier chez Michelin. Il travaille « au noir », non pas qu’il n’est pas déclaré, mais il doit travailler sur la fabrication des bandes de gomme qui servent à usiner les pneus et, croyez-moi, c’est un boulot difficile et salissant. Albert est au bout du rouleau, il supporte de moins en moins la vie qu’il mène
Suzanne, son épouse est, bien sûr, femme au foyer. Son rêve ? Un pavillon dans la banlieue de Clermont, une petite maison proprette, avec son petit jardin, ses meubles en Formica, sa voiture… Le rêve ! Pour l’instant, elle coud ses robes d’après des patrons plus modernes que les vieux tabliers des grands-mères. Suzanne est coquette, elle aime s’habiller, aller chez le coiffeur, être propre, être de son temps.
Leurs deux enfants sont bien différents. L’aîné et chouchou de Suzanne, Henri, combat en Algérie, cette guerre qui ne dit pas son nom… On parle d’évènements d’Algérie, doux euphémisme pour les appelés qui doivent rester là-bas dix-huit mois. Gilles, le cadet est toujours plongé dans un livre, malgré sa nullité en orthographe, la mère ne le voit même pas, sauf pour le rabrouer.
Aujourd’hui, C’est LE grand jour. La télévision va arriver chez Suzanne et Albert et ce sera la première du village. Enfin, c’est surtout elle qui voulait. Son fils, son Henri a été interviewé pour l’émission Cinq colonnes à la une (une sacré émission cela dit en passant pour la jeunette que j’étais alors) et elle veut absolument le regarder. Toute la famille et les copains sont réunis. La famille, c’est avant tout sa jeune sœur qu’il a élevé après le décès des parents et son mari.
Albert Chassaing, longtemps prisonnier de guerre, « victime » de la Ligne Maginot ne s’en est jamais remis. Qu’était sa souffrance de l’éloignement devant les récits des survivants des camps de concentration. « Ses souffrances de soldat en captivité ne valaient pas grand-chose, même rien. Ne rien dire. Ne rien dire. Ne pas parler. Supporter sur ses épaules la défaite française, les sarcasmes de tout le monde sur la reddition des soldats à Schoenenbourg sur la Ligne Maginot où il avait été muté fut plus lourd à porter que n’importe quel fardeau. »« Sa honte de soldat vaincu face à l’héroïsme du soldat de Verdun (son père). Sa honte était intacte » Oui, il traîne encore cette honte et il se demande dans quel état est son fils aîné dans cette guerre qui ne dit pas son nom.
En lisant ce livre, j’ai vu défiler une partie de ma vie. J’ai connu l’essor du Formica et autres meubles « modernes ». Les brocanteurs achetaient à bas prix ces meubles qu’ils revendaient beaucoup plus chers ! Et puis, le remembrement !! quelle affaire. Il a modifié le paysage et le monde agricoles de façon durable. Certains en parlent encore, tant il a changé l’agriculture !
En vieillissant les hommes pleurent est une chronique, une réflexion sur la modernité à grands pas, voire à marche forcée (le remembrement) ...le début du consumérisme, le grand chambardement que fut les années soixante, si intéressant à vivre. L’arrivée de la télévision, de la machine à laver, la machine à coudre électrique, les tracteurs, l’électrification des fermes, Sagan, Sartre, Beauvoir...
Revenons à Albert. Il a décidé que cette journée serait sa dernière. Il n’en peut plus du modernisme, ne se fait pas à l’usine Michelin, il n’a plus le goût de faire semblant. Très fier de Gilles, ce petit dernier doué, il le confie à un vieil instituteur en retraite, pour l’aider, lui montrer le chemin ce qu’il ne peut et ne pourra pas faire. Par amour pour sa femme, il veut sauver son fils aîné et la seule chose qui lui vient à l’esprit….
Dans un dernier chapitre, Gilles Chassaing, devenu professeur de lettres modernes à l’université, donne un cours pour réhabiliter l’ouvrage de Maginot, l’Imaginot comme il disait petit.
Il y a tout cela dans ce bon livre et d’autres choses encore. L’écriture très sobre parle avec justesse et sans pathos de ce virage vers la modernité et les personnages secondaires sont fort bien dépeint et très intéressants
Un coup de cœur