Laurent Petitmangin - Ce qu'il faut de nuit
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4ème de couverture :
C'est l'histoire d'un père qui élève seul ses deux fils. Les années passent et les enfants grandissent. Ils choisissent ce qui a de l'importance à leurs yeux, ceux qu'ils sont en train de devenir. Ils agissent comme des hommes. Et pourtant, ce ne sont encore que des gosses. C'est une histoire de famille et de convictions, de choix et de sentiments ébranlés, une plongée dans le cœur de trois hommes.
Laurent Petitmangin, dans ce premier roman fulgurant, dénoue avec une sensibilité et une finesse infinies le fil des destinées d'hommes en devenir.
L’auteur (site de la maison d’édition) :
Laurent Petitmangin est né en 1965 en Lorraine au sein d’une famille de cheminots. Il passe ses vingt premières années à Metz, puis quitte sa ville natale pour poursuivre des études supérieures à Lyon. Il rentre chez Air France, société pour laquelle il travaille encore aujourd’hui. Grand lecteur, il écrit depuis une dizaine d’années. Ce qu’il faut de nuit est son premier roman.
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« Quelle merde, quelle merde cette vie »
Le narrateur, cheminot, est veuf, sa femme, la moman est morte d’un cancer et élève seul ses deux garçons. Le fils aîné, Fus « Fus pour Fufsball. A la luxo » qui a décroche peu à peu à l’école, lorsque sa mère était en chimio ou à l’hôpital « J’aurais quand même dû le pousser. Je l’ai regardé dégringoler petit-à-petit. Ses carnets étaient moins bons, mais qu’est-ce que ça pouvait faire ? Mon peu d’énergie, je l’ai gardé pour continuer à travailler, continuer à faire bonne figure devant les collègues et le chef, garder ce foutu boulot ». Il va quand même en IUT. Le petit frère, le Gillou, à l’inverse est versé dans les études et, poussé par Jérémy, l’ami d’enfance du Fus, resté fidèle au père malgré le virage pris par son ami, le pousse à continuer, puis passer les concours des grandes écoles.
La vie est grise dans cette Lorraine où les usines ferment, les syndicats de gauche mangés par les factions fachos. Elle est loin l’union de la gauche. Il n’y a que le match de foot le dimanche à Metz qui met de la gaieté dans leurs vies. Le section syndicale? Ils ne sont plus qu’une poignée à y être fidèles, surtout depuis qu’ils ont supprimé l’apéro.
En grandissant, le Fus change de copains, arrivent ceux à la coupe militaire et treillis, mais le père n’a jamais osé lui dire que ceux-là ne lui plaisent pas. Lorsqu’il arrive avec un bandana où est dessiné une croix celtique « Une croix celtique ! Bon Dieu, Fus tu portes des trucs de fachos maintenant ? Pa, calme-toi, c’est un bandana d’ultra, pas de facho. Ça vient de la Lazio, de leur virage nord ». Le Fus « mamaille » avec de drôles de gus, même les copains de la section syndicale lui ont dit.
« J’avais un fils différent et les gens semblaient s’en accommoder. Ou faisaient semblant. Fus n’était pas toxico, ce n’était pas une saloperie qui terrorisait le quartier, et ça leur suffisait. Ils savaient désormais qu’il était différent. » Oui, il s’en accommode.
OK, ça ne parle pas beaucoup dans cette famille, chacun garde son chagrin, mais cahin-caha, la vie continue. Fus a morflé, il a suivi la lente agonie de sa mère, les visites à l’hôpital, le décès l’a mis KO. Après, le père n’a pu assurer son rôle de consolateur, trop abruti par le chagrin. Le gamin s’est enfermé sur lui, sur son chagrin, en a voulu à la terre entière et cette équipe d’ultra doivent avoir la même hargne que la sienne, il se trouve en famille avec eux.
« Août, c’est le meilleur moi dans notre coin. La saison des mirabelles. La lumière vers les cinq heures de l’après-midi est la plus belle qu’on peut voir de toute l’année… Cette lumière, c’est nous. Elle est belle, mais elle ne s’attarde pas, elle annonce déjà la suite. »
Tout a dégénéré, le Fus est passé de l’autre côté de la barrière, la belle lumière a basculé du côté de l’ombre. Fus s’est battu, il a morflé. Une bande lui est tombée dessus, mais il n’a pas porté plainte malgré la demande des autorités. Non, il veut régler ça tout seul, enfin avec sa bande. Résultat, il a tué un jeune comme lui et se retrouve à la case prison.
Le père est dévasté. Qui ne le serait pas.Tout ce que le père, et la mère ont inculqué au fils est battu en brèche. Pourquoi n’a t-il pas pu, su, empêcher ces mauvaises rencontres ? Qu’a t-il fait, ou pas fait pour en arriver à cet échec ?
Une région oubliée, une famille orpheline, un père et un fils dévastés, un livre âpre, mais tout en pudeur retenue, sobre, direct, transcendé par la tendresse, l’amour du pays. Dès le début du livre, je sens la tension, je sais qu’il va se passer quelque chose, qu’un autre malheur va arriver.
Superbe lecture où le désespoir suinte de tous les mots. Une description de la Lorraine oubliée, du syndicalisme moribond, des espoirs déçus, de la montée de l’ultra droite. Il y a aussi la petite étincelle d’espoir avec Gillou qui part dans une prépa à Paris
Un coup de cœur. Merci Myriam.