Svava Jakobsdottir - Un locataire
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Svava Jakobsdottir
Traduit de l’islandais par Catherine Eyjofsson
124 pages
ISBN : 9791092159011
4ème de couverture :
Paru en 1969, Un locataire est un pilier littéraire et politique de l’Histoire islandaise.
Un couple islandais accepte l’intrusion d’un locataire étranger dans leur petit appartement, afin de pouvoir payer les traites de la maison qu’ils font construire. L’équilibre se rompt, un huis clos silencieux et très théâtral se met alors en place, qui glisse imperceptiblement vers le fantastique. Tiraillée entre l’agacement qu’elle ressent devant l’invasion de son appartement et la peur du qu’en dira-t-on, la maîtresse de maison s’étouffe dans une timidité polie et s’écrase devant l’importun, le laissant peu à peu prendre possession des lieux tandis que le mari se fond mollement aux exigences des deux autres protagonistes. En ne donnant ni noms, ni souvenirs à ses personnages, et en s’attachant aux détails de la vie quotidienne et aux moindres gestes de chacun d’entre eux, l’écrivain donne une aura universelle à son texte, portrait de la société islandaise de l’époque. La femme, cantonnée au territoire domestique, dépendante de son mari et du regard des autres, s’évertue avant toute chose à plaire et servir sans éveiller les soupçons, la malveillance et la jalousie.
Ce roman est suivi d’une courte nouvelle. Une histoire pour enfants met en scène une mère qui, prête à tout pour céder aux caprices de ses enfants, les autorise à retirer son cerveau de sa boîte crânienne. Le ton de ce récit n’est ni vraiment cynique, ni vraiment humoristique. Il dit plutôt, sur un mode grotesque, le désespoir discret de ces femmes au foyer, dont le bonheur illusoire est le premier pilier de leur solitude.
Quelques mots sur Svava Jakobsdottir (Editions Tusitala)
Il est difficile de lire la vie de Svava Jakobsdottir (1930-2004) en suivant la ligne rassurante d’une frise chronologique. En 1969, la parution d’Un locataire affirme courageusement ses engagements féministes et antimilitaristes. C’est assez naturellement qu’elle s’engage auprès du parti socialiste islandais et qu’elle est invitée, en 1971, à siéger au Parlement. Ses écrits journalistiques chevauchent ses travaux de fiction et ses écrits pour la radio et la télévision. Ses pièces de théâtre s’intercalent entre ses activités militantes et ses fonctions parlementaires.
Svava Jakobsdottir représenta l’Islande aux Nations Unies, siégea entre autres au Centre de recherches, au Conseil Nordique, au Conseil Général des Musées et au Comité pour l’égalité des Pays nordiques. En entrelaçant minutieusement ses préoccupations littéraires et politiques, Svava Jakobsdottir répond à une tradition littéraire profondément ancrée chez les écrivains islandais, qui jalonne le patrimoine culturel insulaire.
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« C’était tôt le matin. Elle vaquait à ses occupations dans la cuisine quand elle entendit inopinément un bruit de pas. Son regard se porta vers le vestibule et il se tenait là, sa valise à la main. Il était entré chez eux sans se donner la peine de frapper à la porte. Elle resta sur place, prise de court, et ne put même pas se le reprocher après coup car elle se sentait totalement vulnérable : dans un logement de location, il ne servait à rien de fermer la porte d’entrée à double tour car le propriétaire disposait d’une autre clé et elle avait constamment présent à l’esprit que celle de son logis se trouvait dans la poche d’un homme qui ne lui était rien ».
Ainsi donc, en Islande, on peut être soi-même locataire de sa maison et avoir un locataire sans le savoir ??? Diantre, drôle de pays !!!
Ce monsieur s’installe dans l’intimité du couple qu’elle forme avec Pétur sans plus de façon, faisant sien le canapé du salon qu’il transporte dans le vestibule, modifiant les ondes radiophoniques selon ses goûts. Quel sans-gêne !!! Petit à petit, le couple fera contre mauvaise fortune bon cœur. C’est qu’il est très gentil ce locataire, ne fait pas de bruit, ne demande rien...
La vie pourrait aller ainsi s’il n’y avait cette maison qu’ils font construire en bordure de mer. Mais voilà, Pétur a privilégié les extérieurs, engageant de gros travaux et, de ce fait, tout l’argent disponible. L’intérieur n’étant pas viable, ils ne peuvent emménager. Une guerre insidieuse s’installe dans le couple. Mais, Méphisto est dans les murs et sort de sa valise une quantité de liasses de billets que le couple acceptera sans trop hésiter. Ainsi ils pourront emménager dans leur « çam’suffit » ; avec le locataire, bien entendu.
J’ai lu ce livre en me demandant quel était ce locataire, un Méphisto, une chimère ???
Les éclaircissements sont arrivés avec la lecture de la postface qui a éclairé la note de l’éditeur. Non, ce n’est pas Méphisto, quoique !!! Ce livre est à lire au second degré du début à la fin et j’ai l’ai relu dans ma tête une bonne partie de la nuit.
Plusieurs images fortes :
Pétur tête goulument les seins de sa femme gorgés de lait alors qu’il n’est aucunement fait mention d’un bébé. Oh, la belle métaphore de la femme nourricière, de l’homme se repaissant du suc de la femme. Tout à son propre plaisir, il ne se soucie aucunement de celui de sa femme qui sera obligée de vider elle-même l’autre sein pendant que l’Homme, repu, dort comme un bébé. « Il éprouvait une telle sécurité et une telle insouciance qu’il n‘ouvrait même pas les yeux et elle fut prise d’une rage soudaine : quel droit avait-il à tout cela ? Et en plus, il ne vidait que l’un des seins ! Il lui faudrait maintenant vider l’autre elle-même si elle ne voulait pas le voir s’engorger. Qu’est-ce qu’il avait à demander plus qu’il ne pouvait engloutir ! »
La femme dans sa cuisine, l’homme au salon…. Un refrain que l’on connait également chez nous. Ce livre a été écrit en 1969 !
« La cuisine de la nouvelle maison avait été peinte en vert sur le conseil du spécialiste. On envisageait, avait-il dit, de peindre toutes les cuisines du pays pour qu’un calme accru gagne les femmes à leurs fourneaux, mais il paraissait juste que les couvercles soient rouges pour qu’elles ne s’endorment pas tout à fait. »
La peur du qu’en-dira-t-on. Elle avait ajouté cette phrase sur l’insécurité, ouvrant du même coup à ces gens une vue plongeante sur ses conditions de vie.
La jambe gauche de l’un et la jambe droite de l’autre des hommes diminuent à vue d’œil. Bientôt pour marcher, ils doivent se tenir enlacés. L’union des deux pays frères qui l’un sans l’autre ne peuvent avancer, mais qui sont quand même brinquebalants… « Et son esprit se tournait déjà vers les corvées domestiques lorsqu’elle suit le locataire des yeux à sa sortie du salon. Il boitait lui aussi. L’une de ses jambes, la gauche, avait raccourci également, même plus que celle de Pétur, semblait-il ».
Un inconnu rôde sur LEUR grève jusqu’au jour où il sonnera à la porte. Un tuteur s’en allant, un autre veut la place (l’inconnu sur la grève) ? « Elle vit seulement qu’il avait les cheveux foncés, presque noirs et son allure générale avait quelque chose d’étranger qu’elle ne pouvait préciser à cette distance »
Le locataire richissime est l’Amérique qui annexe et colonise l’île placée stratégiquement. L’OTAN installe une base militaire en 1951 et les soldats ne partiront qu’en 2006.
Alors, je comprends que ce locataire propose de l’argent sans conditions de remboursement !
Les extérieurs faits avant l’agencement intérieur, n’est-ce pas également le souhait de montrer un pays agréable à visiter sans trop se soucier de l’économie intérieure, le locataire y pourvoira ! Svava Jakobsdottir a eu une prémonition vu la banqueroute des deux plus importantes banques islandaise !
La maison, ce désir de propriété, de pouvoir fermer sa porte, se sentir en sécurité, être certain que personne d’autre n’a de clé. Désir d’autonomie, de grandeur sociale de l’Islande avec l’aide du grand frère (tuteur ?) américain. Mais il faut toujours se libérer d’une tutelle ou d’un grand frère pour être adulte. Ce que fait l’Islande maintenant http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2012-10-18-Islande Quel chemin parcouru, surtout depuis la crise de 2008 !
Ce livre est un véritable pamphlet sur l’état de l’Islande en 1969 dont je vous recommande la lecture. Un petit livre que l’on doit apprivoiser, mais alors là, une vraie découverte.
Je me suis délectée de la lecture de la nouvelle qui suit un locataire. Je l'avais vraiment survolée la première fois.
Un bijou de cruauté et métaphores sanglantes. Cette mère de famille est littéralement démolie, dézinguée par ses propres enfants sous le regard aimable et compatissant de son cher mari.
Ses enfants lui enlèvent carrément le cerveau qui, d'après eux, ne lui sert guère et tout rentre dans l'ordre. D'ailleurs, elle se sent nettement mieux !! mais, voilà, les enfants grandissent et son coeur de mère grossit, grossit d'inutilité. Cher Docteur lui enlève et, lorsqu'elle fait la tournée de ses propres enfants pour leur proposer le bocal, les portes se ferment et elle se retrouve seule chez elle avec ces deux bocaux mais, elle-même, vide de tout ce qui faisait sa vie. Le bonheur (illusoire ?) s'est échappé de sa vie.
A l'époque, il était très mal vu qu'une mère fasse autre chose que s'occuper des enfants et de la maison.
C’est un livre voyageur qui m’arrive de mon fournisseur officiel de découvertes intelligentes. Un seul regret, il doit continuer son voyage chez d’autres lecteurs alors que j’aurais tant aimé le nicher sur une de mes étagères.
Quelques mots sur cette nouvelle maison d’éditions, tusitala, qui offre des livres soignés avec une couverture élégante et simple. J’espère que tusitala, (nom d’une araignée), tissera une toile dense et solide avec de très bons romans. S’ils sont à l’aune de celui-ci, ce sera du sérieux.