Antoine Choplin - La nuit tombée
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Antoine Choplin
La nuit tombée
125 pages
Août 2012
ISBN : 9782357070332
4ème de couverture :
Un homme sur une moto, à laquelle est accrochée une remorque bringuebalante, traverse la campagne ukrainienne. Il veut se rendre dans la zone interdite autour de Tchernobyl. Il a une mission.
Le voyage de Gouri est l'occasion pour lui de retrouver ceux qui sont restés là et d'évoquer un monde à jamais disparu où, ce qui a survécu au désastre, tient à quelques lueurs d'humanité.
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Gouri sur sa moto, avec une petite remorque accrochée, file sur une route russe en direction de Pripiat, ville fantôme par la « grâce » de l’accident nucléaire de Tchernobyl. Il veut absolument récupérer la porte de la chambre où sa fille Ksenia a fait des dessins.
Tous ces risques pour ça me direz-vous ! Et bien oui et non. Les souvenirs sont accrochés à cette porte. Et puis, il va s’arrêter en chemin, juste avant la zone interdite, chez ses amis Vera et Iakov. Iakov, comme lui était un liquidateur et il en a payé le prix fort. Autour d’un repas, il feront remonter le temps, se rappelleront les bons moments. A la nuit tombée, Gouri repartira pour Pripiat avec pour protection un simple mouchoir noué sur la bouche. Cette zone est gardée par les soldats et fréquentée par des bandes de voleurs, une zone de violence. Arrivé sur la place devant son ancien appartement, il se souvient de l’époque heureuse où la grande roue, les autos tamponneuses animaient la fête du 1er mai.
Maintenant, il est écrivain public à Kiev, il a eu de la chance de dégoter cet emploi, sa fille Ksenia est très gravement malade, ses amis meurent des suites d’irradiation. Alors, il aidera Iakov à écrire sa lettre d’amour, sa lettre d’adieu à Vera.
Ce livre, très court, est empli d’une belle humanité sur un décor d’apocalypse. Pas de bavardage inutile, pas de phrases grandiloquentes, on sent les silences dont celui de la forêt percé par les chants d’oiseaux. Antoine Choplin m’a séduite. Je vais oser un de mes mauvais jeux de mots : Ce livre irradie d’humanité et de tendresse.
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Quelques extraits :
Il traverse les villages et les retrouve comme il les a quittés, gris et dispersés, sans traits singuliers. Les quelques enfants qui jouent sur les bas-côtés ressemblent à ceux d’avant, avec leurs yeux qui s’écarquillent lorsqu’ils se figent pour le regarder passer. Il y a aussi les vieillards assis, adossés à des palissades et qui profitent des dernières heures du jour.
D’après Stephan, ils vont venir me voir ici bientôt pour me remettre ça. C’est ce qu’ils font avec ceux qui sont malades. Ils se rendent chez eux pour leur remettre leur décoration. Quelquefois, il parait qu’ils organisent aussi des sortes de cérémonies dans les villages. La patrie reconnaissante, dit Gouri avec gravité.
L’excavatrice a remis son moteur en route et elle a manœuvré pour contourner la maison. Puis elle est passée si près de nous qu’on a cru qu’elle allait nous écrabouiller. Mon père me tenait fermement le bras et j’ai compris qu’il avait décidé qu’on bougerait pas d’un centimètre. Ce n’est que lorsque l’engin a écroulé la petite barrière du jardin qu’on est rentrés précipitamment dans la maison. Mon père a désigné quelques caisses à remplir et à évacuer d’urgence. Et c’est ce qu’on a fait tandis que le bulldozer, dans un bruit de tonnerre, a creusé le trou tout contre la maison.
« Il y a eu la vie ici
Il faudra le raconter à ceux qui reviendront
Les enfants enlaçaient les arbres
Et les femmes de grands paniers de fruits
On marchait sur les routes
On avait à faire
Au soir
Les liqueurs gonflaient les sangs
Et les colères insignifiantes
On moquait les torses bombés
Et l’oreille rouge des amoureux
On trouvait le bonheur au coin des cabanes
Il y a eu la vie ici
Il faudra le raconter
Et s’en souvenir nous autres en allés. »
En tout cas, repris Gouri, et même si ça me dépasse, c’est comme ça. Quelques morts chaque jour, oui un poème si on veut, comme un petit crachat de ma salive à moi dans le grand feu. Et ce sera comme ça tous les jours que Dieu me donnera.
Gouri met pied à terre, coupe le moteur.
Le silence tombe comme une chape.
Et pourtant, on aura beau faire, on sait bien qu'on ne sera jamais tranquilles avec ça. Ni nous, ni nos enfants, ni les enfants de nos enfants. Ni même le plus petit brin d'herbe qui n'a plus nulle part où se cacher
Bien sûr qu’il pense à Ksenia, à Iakov, à Grigori même, et à tous les autres. Tous nichés dans un coin de sa tête à lui dire hé là, mon vieux Gouri, tu vas quand même pas te laisser aller. Avec la chance que t’as eue de rester solide sur tes deux jambes.