Laurent Gaudé - Terrasses ou notre long baisé si longtemps retardé

Terrasses Ou notre long baiser si longtemps retardé Laurent Gaudé Editions Actes Sud

Terrasses

Ou notre long baiser si longtemps retardé

Laurent Gaudé

Actes Sud

avril 2024

144 pages

ISBN : 978-2-330-18914-3

 

4ème de couverture :

Vendredi 13 novembre 2015, il fait exceptionnellement doux à Paris – on rêve alors à cette soirée qui pourrait avoir des airs de fête. Deux amoureuses savourent l’impatience de se retrouver ; des jumelles s’apprêtent à célébrer leur anniversaire ; une mère s’autorise à sortir sans sa fille ni son mari pour quelques heures de musique. Partout on va bavarder, rire, boire, danser, laisser le temps au temps. Rien n’annonce encore l’horreur imminente.

Laurent Gaudé signe, avec “Terrasses”, un chant polyphonique qui réinvente les gestes, restitue les regards échangés, les quelques mots partagés, essentiels – écrit l’humanité qui éclot au cœur d’une nuit déchirée par l’impensable. Et offre à tous un refuge, face à un impossible oubli.

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« J’ouvre les yeux. Je me dis que cette journée est belle puisque nous allons nous voir ce soir. Je souris à l’idée de ce rendez-vous et sens, dès le matin, cette boule dans le ventre qui dit que je t’aime peut-être plus que je ne le pensais ».

Il fait beau, des rendez-vous sont pris entre amants, amantes, amis, amies, sœurs, peut-être les derniers beaux jours avant la mauvaise saison.

Tout s’enclenche sous de joyeux auspices. Les jumelles vont fêter leur anniversaire non à Barcelone, mais à Paris, les deux amoureuses attendent de se retrouver, la jeune mère de famille sort seule, laissant mari courroucé et bébé à l’appartement…. Aller, enfin, à un concert seule, s’amuser seule….

Mais, nous sommes le vendredi 13 novembre 2015 ; un bien sombre vendredi 13, lorsque les terroristes débarquent sur la terrasse et tirent « Ils immolent la vie, sans savoir précisément combien de morts ou de blessés ils laissent derrière eux. ». Plus loin, c’est le Bataclan que les semeurs de mort investissent. Ils tirent et s’en délectent, prennent leur temps, choisissent « « Toi, oui… Toi, pas…. » Le Hasard est arrivé. Il est sur nous, s’amuse en poussant nos vies du bout des doigts. « Toi oui… Toi, aussi... »

Celui qui est dessous prend conscience qu’il est protégé par le corps de celui qu’il entend gémir de douleur et vivre ses derniers instants.

L’inimaginable est maintenant réalité.

Laurent Gaudé, en des phrases courtes, un phrasé nerveux m’a bouleversée. Il réussit à ne pas tomber dans la pathos, il est dans l’action au présent, fait parler les morts qui ne veulent pas encore laisser leur place qui hantent et hanteront longtemps le Bataclan « Ceux qui me tuent voulaient nous contraindre, châtier notre liberté mais je ne t’ai pas donné la vie pour que tu sois soumise, Lila…. J’aurais aimé t’aimer encore si longtemps... »

Arrive la douleur des parents, maris, épouses. Les conversations s’arrêtent lorsque la mère arrive à la machine à café « Leur gravité est un peu peureuse, un peu hésitante mais sincère. Cela nous fait du bien car il nous plaît que notre douleur soit au centre de tout. C’est là qu’elle est pour nous. »

Arrive la douleur de ceux qui sont sortis vivants, blessés ou non. « Avons-nous été chanceux ou damnés ? Nous qui retournons à notre vie après avoir traversé tout cela. Nous qui n’avons pas été blessés. Nous qui avons réussi à nous enfuir à temps. »

Arrive les nettoyeurs, ceux qui ont le triste privilège de nettoyer le sang les bouts de tout. Cette odeur de meurtre qui reste ancrée en eux, sur eux « C’est l’odeur que laisse le malheur derrière lui pour prévenir qu’il est passé, qu’il pourrait revenir, qu’il est tout-puissant »

J’ai aimé l’hommage que Laurent Gaudé rend a tous ; les morts, les blessés, les survivants, ceux qui sont là pour sauver des vies, trier et, en amont, participer à la logistique. Cette femme au téléphone dans la salle et la standardiste qui lui répond « Alors je lui demande de ne plus rien dire. Je veux qu’elle se taise, qu’elle devienne invisible… Je lui dis que je lui parlerai toute la nuit s’il le faut. Je lui dis à voix basse « Ne bougez pas, il ne faut pas qu’ils vous voient » » et puis soudain, après un tir, le silence… puis la peur, le doute « Je ne saurai jamais ce qui l’a trahie, si c’est moi, si c’est l’espoir que lui donnait ma voix ».

Un récit choral bouleversant. Laurent Gaudé me fait passer du bonheur, de l’attente du bonheur au cauchemar, à l’indicible avec ses mots à lui. Ce livre est le premier que je lis sur les massacres du 13 novembre 2015. Je ne pouvais pas... mais parce que Laurent Gaudé et que je n’ai pas regardé la quatrième de couverture, j’ai pu lire, écouter son récit, et… C’est une superbe lecture, un gros coup de cœur.

 

 

 

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A
Je ne peux toujours pas lire sur ces attentats. Je ne sais pas si j'y arriverai un jour.
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Z
Lu le livre de Gaudé sans regarder la 4ème de couv. Autrement, je suis comme toi
A
Je te rejoins : une lecture bouleversante.
Répondre
Z
mais nécessaire
V
Il est dans ma PAL mais je redoute la lecture même si je sais qu'il va être de qualité puisque c'est Gaudé.
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Z
Moi qui suis dans le genre hypersensible, c'est la raison pour laquelle je n'ai lu aucun livre sur ce sujet, j'ai pu le lire facilement
L
Ce doit être très émouvant, connaissant le style de Gaudé. Le thème n'est pas facile mais j'imagine, sans l'avoir lu, que l'hommage doit être superbe.<br /> Petite parenthèse, tu as oublié le "r" de baiser dans ton titre d'article. <br /> Bises et bon week-end.<br /> Lydia
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Z
Merci Lydia, je corrige rapidement. L'émotion et les larmes sont revenues à la relecture pour écrire mon avis, aussi bizarre que cela puisse paraître
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