Michaël Prazan - Varlam
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Varlam
Michaël Prazan
Editions Rivages
mars, 2023
160 pages
ISBN: 978-2-7436-5910-3
4ème de couverture :
Lors du tournage d’un documentaire sur les camps du Goulag de la Kolyma, région de la Sibérie
orientale que les Russes appellent « l’enfer blanc », l’auteur fait la rencontre inattendue d’un chat abandonné, transi de faim et de froid. Il décide de le sauver et le baptise Varlam, en hommage au grand
écrivain Chalamov, rescapé des camps et auteur des Récits de la Kolyma. Avec lui, de Iakoutsk à Magadan en passant par la « route des ossements », il va parcourir la Sibérie, filmant les vestiges des camps, recueillant le témoignage des survivants, remontant le temps de la période stalinienne jusqu’à la fermeture du Goulag en 1956, trois ans après la mort du dictateur.
Dans ce road-book polaire, Michaël Prazan nous propose une mosaïque de séquences mémorables, évoquant un des chapitres les plus sombres de l’Histoire de la Russie.
Michaël Prazan est écrivain, journaliste et réalisateur de documentaires.
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« Bienvenue dans la ville la plus froide du monde ! » C’est ainsi que Vadim, dans un français parfait, accueille l’équipe de tournage, venue faire un reportage sur la Kolyma, « la route des ossements ».Ce sera leur guide.
Faire de la moto-neige par -50°C ne doit pas être une partie de plaisir ! Combien de temps aurait pu survivre le chaton abandonné qu’ils ont recueilli sur la route ? L’ équipe l’a baptisé Varlam en l’honneur du grand écrivain russe, moins connu, moins médiatique que Soljenistine car il est resté en Russie. Rescapé du Goulag, Varlam, de par ses écrits est une mine inestimable pour historiens ou néophytes passionnés de cette dictature rouge. Or donc, Varlam a survécu, ce qui n’était pas évident et a parcouru les milliers de kilomètres avec l’équipe, souvent caché à l’intérieur des doudounes.
Ce petit chat est le soleil du livre ; l’histoire de ce sauvetage pourrait être celle de l’auteur, parti en pleine tourmente personnelle.
Varlam Chalamov est le fil rouge de ce récit de voyage. Après lecture de son livre « Récits de la Kolyma », l’équipe part pour la Sibérie. Asia, jeune femme née en Sibérie et vivant en France les aide à déjouer les tracas administratifs si courants en Russie,
L’équipe de tournage peine à s’habituer au froid. Leur équipement grand froid ne résiste pas à moyen terme et pourtant…. « Chaque sortie vaut le coup, chaque prise de vue nous semble stupéfiante. Le paysage est à couper le souffle, surtout les couchers de soleil les plus beaux que j’ai jamais vus ».
Avec eux, je roule, ou glisse dans ces grosses voitures tout terrain, aperçois les restes des Goulags où sont emprisonnés ceux qui déplaisent au pouvoir, appelés Zeks. Ils devaient construire une longue route dans le froid, la boue, les moustiques sibériens alors que leur nourriture était des plus pauvres. Cette route porte également le nom de « Route des ossements » car nombre de Zeks y sont morts et enterrés sans autre forme de politesse sur le bas-côté (cela me fait penser à Convoi par Samarcande où de jeunes enfants ont été ensevelis sur le bord de la voie ferrée) . « L’inhumanité du Goulag ne se réduit pas à sa cruauté. Elle l’était plus encore du fait de sa gestion technocratique ». « Exécution Garanine » sur les politiques, liquidation des « crevards »… Tout ceci pour une seule raison économique : ne pas gaspiller les rations alimentaires auprès de ceux qui «n’en valaient pas la peine. »
L’on a beaucoup parlé, à juste titre, des camps nazis et de leurs atrocités. La même chose se passe en URSS ; par exemple, à partir de 1937, Grigori Loïssevitch, commandant du service médical « pouvait faire ses expériences directement sur des êtres humains, et non sur des lapins, ce qui a permis des avancées rapides et efficaces. On parle de ce genre d’expériences dans les camps de la mort nazis sans se rendre compte que des horreurs analogues étaient pratiquées au même moment à Moscou »
Comme souvent l’horreur côtoie quelque fois le beau. « Le goulag n’était pas qu’un lieu de mort. La vie artistique y était, paradoxalement, en ébullition. Il faut dire que s’y concentrait une somme invraisemblable de talents, peintres, musiciens, écrivains et dramaturges , venus des quatre coins de l’empire. »
L’équipe arrive à Cuba !! Non, non, c’est pure galéjade ou dérision car Kubume est le point le plus froid de la planète. Pourtant ils entrent dans un « restoroute » cabane en tôle lambrissée de lattes de bois où trois « mamas iakoutes » leur cuisinent des boulettes de viande et riz. Chalamov a vécu dans ce village aujourd’hui abandonné alors qu’il est en résidence surveillée et officie comme aide soignant.
Tomtor arrive avec son improbable hôtel et le musée des écrivains du Goulag. Ici, l’arrivée de Poutine n’est pas bien vécue « Il a complètement fermé le pays. A cause de son attitude, qui constitue à dresser le monde entier contre nous, on manque de tout et on ne peut plus voyager…. Les revenus du tourisme, qui n’étaient déjà pas bien élevés, ont chuté de 30 % depuis les sanctions économiques. Avant, il y avait des Américains qui venaient visiter la région…. Résultat, on ne les a plus vus depuis des années, et la Iakoutie n’a jamais été aussi pauvre qu’aujourd’hui ».
Ils rencontrent les Evenks, clan matriarcal d’éleveurs de rennes qui a choisi délibérément « une mise à l’écart volontaire de la civilisation qu’ils méprisent et avec laquelle ils refusent tout contact »
Ce livre est une leçon d’histoire réaliste, dense, fort bien documentée avec le récit des rescapés du Goulag resté sur place car les Zeks n’avaient plus leur place ailleurs. Je vois ce que Poutine veut dire en parlant de la dénazification de l’Ukraine. La description des paysages, des habitants est habitée par les silences ; Le silence du respect, celui des oubliés du nord, des paysages envahis par la neige. De temps à autre, une petite anecdote amusante déride.
Michaël Prazan réalise des documentaires et cela se sent dans son écriture très descriptive, précise, allant jusqu’à me faire ressentir le froid polaire (cela tombe bien, j’ai lu le livre pendant les grosses chaleurs!). Ce récit d’aventures
Les derniers chapitres ne parlent presque exclusivement que de Varlam (le chat)… cela peut paraître paradoxal après les pages précédentes mais, je me demande si, en pointillé, il n’y aurait pas le cheminement de l’auteur vers sa guérison.
Les paysages, les habitants, la beauté austère des paysages, la chaleur des habitants et… l’histoire de la Russie avec l’écriture de Michaël Prazan... Bref le genre de lecture que j’aime qui m’ouvre de nouveaux horizons géographiques, humains et politiques.