Erri de Luca - Les règles du mikado
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160 pages
Avril 2024
ISBN : 9782073060587
4ème de couverture :
Dans les montagnes près de la frontière entre l’Italie et la Slovénie, un vieil horloger a pour habitude de camper en solitaire. Une nuit d’hiver, une jeune tzigane entre dans sa tente et lui demande de l’abriter. Elle a fui sa famille et le mariage forcé qu’on lui imposait de l’autre côté des montagnes. Cette rencontre inaugure une entente faite de dialogues nocturnes sur les hommes et la vie, un échange de connaissances et de visions — elle qui croit au destin, aux signes, qui sait lire les lignes de la main, elle qui dresse un ours et l’aime comme le meilleur des amis ; lui qui se sent tel un rouage de la machine du monde et qui interprète ce monde selon les règles du Mikado, comme si le jeu était une façon de mettre de l’ordre dans le chaos.
Dans ce roman dense et délicat, où chaque mot ouvre sur des significations plus profondes, où chaque phrase est un chemin vers soi-même, Erri De Luca nous invite à un jeu calme, patient et lucide, dans lequel un mouvement imperceptible peut changer le cours de la partie.
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L’auteur nous informe dès le début
« Je présente donc les deux personnes qui engagent un dialogue au début de cette histoire
Lui, c’est un vieux campeur solitaire. Il passe de longues périodes en montagne, même en hiver. Elle, c’est une jeune gitane qui a fui sa famille et son campement. »
L’homme aime aller planter sa tente dans la montagne par tous les temps, retrouver la solitude qu’il aime tant. Ici, il est près de la frontière séparant l’Italie de la Slovénie. L’horloger devenu riche a créé une fondation venant en aide aux jeunes immigrés ou non en grande difficulté. Lorsque la jeune fille lui demande de lui laisser une petite place dans sa tente alors qu’il gèle dehors, il ne peut que la faire entrer et la réchauffer.
C’est une gitane, âgée de quinze ans que sa famille veut marier. Avant il faut qu’elle grossisse. Des deux choses, elle n’en a nulle envie et se sauve.
Ils vont se découvrir et transformer cette rencontre fortuite (?) en une amitié. L’horloger décide de sauver la jeune fille en la cachant chez un ami. Il va lui apprendre à lire et écrire, lui apprendre une autre liberté.
En très peu de mots et de pages, Erri de Luca rend les deux personnages vivants. Comme Marie-Hélène Lafon, il travaille ses phrases jusqu’à l’os pour qu’il n’en reste que l’essentiel. Le mécanisme des mots ronronne comme une horloge bien réglée (je n’allais pas louper ce jeu de mots tout de même!)
J’ai beaucoup aimé leurs dialogues
« Tu es un étrange vieil homme. Tu as l’air calme, incapable de réagir, puis tu sors un spray qui aveugle, puis un pistolet. Je ne t’imaginais pas aussi vif.
-Il est inutile de s’agiter pour être prêts.
Les gens eux aussi sont des mécanismes. Il est facile de comprendre le comportement de ceux qui sont agressifs. On peut s’adapter et arranger les choses. »
Et hop, je t’enlève un bâtonnet, puis l’autre… sans toucher le troisième. C’est cela, le jeu de Mikado et leur dialogue y ressemble.
La seconde partie apporte un haussement de sourcils de ma part et montre comment cette rencontre fortuite a changé les deux personnages. La gitane, à qui l’horloger a appris à lire et écrire, s’est construit une toute autre vie. Mariée au fils du vieux pêcheur qui l’a recueillie après l’horloger, elle est maintenant veuve avec deux enfants. Mariée surtout pour changer de nom et que son clan ne la retrouve pas. Il lui en a fallu du cran pour apprendre à vivre dans un tout autre cadre, jusqu’à vendre ses cheveux pour acheter des livres..
L’oubli possible ou pas, l’entraide, l’altérité, le courage, le besoin de l’autre… Le tout en 160 pages. L’homme est horloger et le livre est une horloge ou une montre à gousset qui referme le même nombre de pièces mais qui est beaucoup plus petite.
Un joli coup de cœur, comme à chaque fois que Erri De Luca m’emmène dans son monde.
Les montres sont des instruments de mesure, mais le temps c’est autre chose. Il va aussi bien au ralenti qu’à toute vitesse
Être vieux, c’est comme bivouaquer tout en haut du bois, là où les arbres sont moins denses et où il y a plus de lumière.
Je suis passée d’un apparence à une autre en emportant seulement ce qui pouvait tenir dans une poche, comme la nuit où je suis entrée dans ta tente et dans la vieillesse
Pour me détacher, j’ai annulé la langue de mon peuple, je l’ai arrachée de ma bouche.