Emilio Sanchez Mediavilla - Une datcha dans le Golfe
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Mai 2022
160 pages
ISBN : 9791022612043
4ème de couverture :
Lire ce livre s’apparente à boire un verre dans un bar avec un inconnu, un inconnu intéressant. Ce premier récit est l’histoire d’un journaliste qui a vécu à Bahreïn mais qui n’était pas sensé y aller. Il nous raconte son voyage, d’abord avec l’étonnement d’un premier regard, puis avec la profondeur d’un excellent chroniqueur : des détails les plus simples (et pourtant invraisemblables), comme chercher une maison à louer, jusqu’aux détails plus précis de l’implantation chiite dans les pays du Golfe.
La voix de l’auteur, sérieuse et profonde quand il faut, mais aussi candide, drôle et subjective, se balade entre la finesse du regard et humour, loin de l’attitude du vaillant reporter de guerre qui a tout vu et tout vécu. C’est pourquoi on a envie de le suivre, parce qu’on se sent proche de lui, et on l’écoute nous décrire les subtilités géopolitiques du Moyen-Orient mais aussi la visite rocambolesque de Michael Jackson à Bahreïn, les manifestations et répressions de 2011 et les menus des restos des expatriés, la construction des îles artificielles faramineuses et le sort de la moitié de la population, composée d’esclaves modernes.
En prenant ce qu’il y a de mieux dans le récit de voyage et dans le reportage, ce récit nous émerveille en nous montrant l’une des meilleures qualités d’un livre de non-fiction : il rend passionnant un sujet auquel nous ne nous serions jamais intéressés si on n’avait pas rencontré ce type sympa et intéressant au bar.
L’auteur (site de la maison d’édition) :
Emilio Sanchez Mediavilla (Santander, Espagne) est né en 1979. Il est journaliste et cco-fondateur de la maison d’édition de narrative non-fiction et de documents Libros del K.O. Il collabore régulièrement avec El Païs et Vanity Faire.
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« Bahreïn est une île et vous n’avez pas d’échappatoire ». Jolie formule pour cet état !
Le narrateur et auteur, journaliste, suit sa compagne mutée à Bahreïn, ancienne colonie britannique, où il y a vécu deux ans. Surtout, ne dites pas qu’il est journaliste, non pas que sa mère pense qu’il est…. Mais parce que l’Émirat n’aime pas du tout que des journalistes étrangers viennent fouiller dans le sable de leur désert. Bahreïn, le pays qui occupe la place 167 (sur un total de 180 nations) dans le classement sur la liberté de la presse établi par Reporters sans Frontières » Alors, il couvre d’écriture plusieurs petits carnets.
Je me mets dans les pas du narrateur et le suit partout dans ses pérégrinations et rencontres. Emilio Sanchez Mediavilla a l’art de parler de choses dures avec un ton de conversation légère et ironique.
Sunnites et chiites se font la guerre et, là, il vaut mieux être sunnite comme le prince et son parti. Les chiites sont nettement plus nombreux sur l’île grande comme Majorque et reliée par un pont à l’Arabie Saoudite, pourtant ils sont vus par le pouvoir comme des habitants de seconde zone. Tiens, justement, ce pont, vous ne pouvez le franchir que si vous êtes bahreïni ou saoudien, l’auteur en fait les frais lors d’une tentative.
Sur l’île, comme dans d’autres pays, les trois tabous majeurs sont le sexe, la politique et la religion et donc sujets de beaucoup de conversations.
Mais, il faut bien s’installer, un peu marre d’être à l’hôtel. La recherche de la maison est assez épique. Eux, ils veulent vivre dans le secteur nord, pas au milieu d’expatriés. « Nous voulions du vert de la pelouse et des arbres, en résumé un endroit qui ne ressemblait pas à Bahreïn terrain vague-poussière-béton .» Mohamed, leur agent immobilier n’a cesse de leur proposer des villas « européennes » gigantesques. Enfin, ils dénichent ce qui devient leur home sweet home « Nous avions une datcha dans le Golfe »
L’auteur semble mener une vie oisive, il vaut mieux par rapport aux autorités locales ! mais tous sens en alerte, il regarde, scrute l’air de rien, discute avec ses copains bahreïnis, saoudiens, indiens, expat, arabes… de l‘occupation de la Perle, en 2011, souvent évoquée, de la main d’œuvre asiatique ou pour parler vrai, des esclaves asiatiques dont on supprime les passeports. Par contre, les expatriés occidentaux sont reçus quasi royalement.
L’écriture est cinématographique et les chapitres comme des histoires courtes. L’auteur sait conter la vie sur l’île, y mettre le ton grinçant ou ironique avec une touche de légèreté. J’ai aimé le ton de conversation qu’il prend sans pour cela rendre les évènements et la situations moins anodins.
Un livre à hauteur d’hommes et de femmes qui fourmillent d’anecdotes, d’informations sur Bahreïn : géopolitique, géographie, écologie avec la construction de ces îles artificielles, l’abattage des arbres (comme prévu près de leur maison) pour construire une autoroute.
Barhrein, un émirat qui sait « s’ouvrir » à la modernité et, surtout, en le faisant savoir, on appelle cela de la propagande ; autorisation pour les femmes de conduire une voiture seule, reconnaissance de l’homosexualité, accueil d’un grand prix automobile, les visites de stars américaines… tout cette vitrine pour cacher le fait que c’est un état totalitaire et qu’il vaut mieux être du bon côté du manche.
Un livre très instructif, rempli d’anecdotes, un portrait acidulé de ce royaume chroniques d’un état où la liberté n’existe pas pour tous.
Merci aux éditions Métailié pour cette lecture intéressante, instructive et, cerise sur le gâteau, très agréable