Sandrine Collette - Et toujours les forêts
-
334 pages
Janvier 2020
ISBN : 9782709666152
4ème de couverture :
Corentin, personne n’en voulait. Ni son père envolé, ni les commères dont les rumeurs abreuvent le village, ni surtout sa mère, qui rêve de s’en débarrasser. Traîné de foyer en foyer, son enfance est une errance. Jusqu’au jour où sa mère l’abandonne à Augustine, l’une des vieilles du hameau. Au creux de la vallée des Forêts, ce territoire hostile où habite l’aïeule, une vie recommence.
À la grande ville où le propulsent ses études, Corentin plonge sans retenue dans les lumières et la fête permanente. Autour de lui, le monde brûle. La chaleur n’en finit pas d’assécher la terre. Les ruisseaux de son enfance ont tari depuis longtemps ; les arbres perdent leurs feuilles au mois de juin. Quelque chose se prépare. La nuit où tout implose, Corentin survit miraculeusement, caché au fond des catacombes. Revenu à la surface dans un univers dévasté, il est seul. Humains ou bêtes : il ne reste rien. Guidé par l’espoir insensé de retrouver la vieille Augustine, Corentin prend le long chemin des Forêts.
L’autrice (site de la maison d’édition) :
Sandrine Collette vit dans le Morvan. Elle est notamment l’auteure de Des nœuds d’acier, Il reste la poussière, et Les larmes noires sur la terre. Et toujours les Forêts a été couronné, entres autres, par le Prix du Livre France Bleu PAGE des libraires 2020, le Grand Prix RTL Lire et le Prix de La Closerie des Lilas.
===============================
« Les vieilles l’avaient dit, elles qui voyaient tout : une vie qui commençait comme ça, ça ne pouvait rien donner de bon ».
Marie est enceinte, aurait voulu avorter, mais le futur père la conduit chez les vieilles qui ont décidé que le bébé de leur petit-fils devait naître. Elle l’enferment jusqu’aux prémices de l’accouchement et là… la foute à la porte, débrouille-toi Marie !
Pourquoi elle ne l’avait pas abandonné à la naissance ? Elle ne se l’expliquerait jamais Elle passerait sa vie à regretter de ne pas l’avoir fait. » Corentin, son fils, aurait connu une toute autre vie. «Il se tenait coi. Il savait que c’était à cause de lui tout ça. C’était son lot, le malheur. Sa mère le disait en se penchant sur lui. »
Passé ses trois ans, elle le jette quasi de la voiture devant une vieille maison isolée. Une vieille le reçoit « Le regard dur de la vieille sur lui. Pas un sourire, pas un geste. ». Son dernier souvenir maternel : la route vide, sa mère partie le laissant seul ici. Et surtout, ses derniers mots « File, merde » !
« Un toit d’ardoise abîmé sur les rives, un pierre triste avec des portes basses, comme si on ne voulait pas laisser entrer les gens. La maison d’Augustine était laide. » Voici son nouvel environnement.
Pourtant ? La partie la plus heureuse de sa vie débute. Il va à l’école dans le petit village, se fait des copains, va chez eux. La vieille Augustine l’adore, même si elle ne dit pas grand-chose et lui, participe à la vie de la maison, jardin, bois…. Oui, il est heureux.
Bon à l’école, il poursuit ses études en ville et ne retourne plus chez Augustine, même si elle a une place à part dans son cœur. Il vit une vie souterraine, dans les deux sens. Avec ses copains,ils filent dans les catacombes picoler et fumer.
C’est là qu’un jour, CELA se produit.
« Ce fut la fin du monde et ils n’en surent rien. Engloutis dans la terre, engloutis dans l’alcool et les rêves. »
Lorsque privés d’eau, de nourriture, ils prennent le risque de sortir des catacombes, le chaos, l’apocalypse s’offrent à leurs regards. Des morts, aucun bruit
« Tout ce qui était vie étaient devenu cendres .
Tout ce qui existait était détruit.
Tout n’était que silhouettes noires et atrophiées et brûlées – les immeubles, les arbres, les voitures.
Les hommes »
Les quelques silhouettes qu’ils rencontrent se sauvent lorsqu’ils les hèlent.
Que faire, où aller. Après quelques errements, Corentin décide d’aller dans ses forêts, retrouver Augustine, certain qu’elle est encore en vie, qu’elle l’attend. Tout autour, le silence, un silence vertigineux que rien ne vient contrarier, pas même le vrombissement d’un insecte.
Commence un voyage pédestre apocalyptique, de la grande ville aux forêts du Morvan sur une route dévastée, à traverser des forêts de trognons calcinés, immense mikado écroulé devant lui à marcher dans la neige alors que c’est l’été. Une marche difficile « Dix fois il s’arrêta. Les tremblements, le souffle court l’empêchaient de faire un pas de plus. »
Pour survivre, Corentin fouille magasins, maisons puisqu’il n’y a plus personne, autant qu’il prenne de quoi se sustenter et boire (l’eau des ruisseaux, rivières… est polluée)La mort est là, animaux, humains, avec sa puanteur. Il doit même tuer de pauvres chiots en train d’agoniser sur le corps de leur mère par manque de nourriture. « Au fond de lui, ce fut atroce ».
Et puis, un septième arrive et là, non, il ne peut pas, « C’était la seule vie qui restait » alors,il lui ouvre une boîte de conserve « Puis, il grimpa sur ses genoux et s’endormit, et Corentin n’osa plus remuer de peur de le réveiller ».
Ce chiot est aveugle, Corentin le baptise « Aveugle » et il continue leur route ensemble, Aveugle calé sur ses épaules. « Pour la première fois, il y avait de la couleur -le pelage beige abîmé de l’Aveugle"
"Et il y avait du bruit -le halètement de l’animal qui s’ébrouait, le jappement minuscule quand Corentin approcha la nourriture de son museau, et qu’il se mit à mastiquer frénétiquement en plongeant dans la sauce jusqu’aux joues. » C’est tout pour Corentin, un peu de chaleur humaine, cela lui permet de continuer.
Et… « Au fond de la vallée, dans le trou où il avait grandi, il y avait la maison. Et dans la maison, il y avait Augustine". Elle n’était pas seule, et, à la voix, il la reconnut immédiatement, Mathilde qu’il a aimé d’un amour enfantin sans retour et, qu’il aime toujours.
Elle a tout perdu. Une espèce de vie reprend, plutôt la survie. Il faut bien avancer pas après pas malgré « la chose », malgré la pluie acide qui brûle tout. La vie doit reprendre. Ils sont trois. Corentin veut recréer un monde, alors...
« Fais ce que tu veux. Mais fais-le vite.
Alors il sut qu’elle le haïrait sans relâche.
Il sut qu’il resterait ce qu’il avait espéré de pas être -un salaud et un violeur »
Ils firent six enfants qui, bien que chétifs, s’ébattent, s’amusent comme tous les enfants « car les enfants -les enfants, c’était plus fort qu’eux : ils étaient joyeux, ils ne faisaient pas exprès, c’est dans leur nature. »
Dix-huit après leur installation, de plus en plus de gens partent vers l’ouest. Eux aussi vont migrer, non pas pour le plaisir, mais pour continuer la procréation, l’aîné est adulte.
Sandrine Collette a écrit un livre âpre, dur où la vie, tel un diamant est là, présente.
Dystopie qui interpelle. J’essaie d’imaginer les forêts du Morvan, que je parcours à la recherche de cascades et lieux insolites à photographier, les forêts calcinées, les terre incultes, les villages abandonnés, les lacs, rivières empoisonnées…
Fable écologique ? Pas seulement. Sandrine Collette continue d’explorer l’âme humaine dans des conditions, ici, extrêmes. Eux avancent pour perpétrer l’espèce humaine, parce qu’ils croient en un futur viable.
Nous connaissons, actuellement des réactions climatiques, une guerre qui risque de durer et de se développer. Ne serait-ce pas le moment de regarder autrement notre futur ? La chose est ardue pour tous… Mais les forêts calcinées par La Chose sont peut-être notre futur ou celui de nos descendants.
Comme d’habitude, Sandrine Collette m’envoûte. Ces mots me prennent, sa vision devient mienne.
Coup de cœur.