Anne Griffin - Toute une vie et un soir
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Toute une vie et un soir
Anne Griffin
Traduction Claire Desserrey
Editions Delcourt
Avril 2019
272 pages
ISBN : 9782413017509
4ème de couverture :
Dans une bourgade du comté de Meath, Maurice Hannigan, un vieux fermier, s’installe au bar du Rainsford House Hotel. Il est seul, comme toujours – sauf que, ce soir, rien n’est pareil : Maurice, à sa manière, est enfin prêt à raconter son histoire. Il est là pour se souvenir – de tout ce qu’il a été et de tout ce qu’il ne sera plus. Au cours de la soirée, il va porter cinq toasts aux cinq personnes qui ont le plus compté pour lui. Il lève son verre à son grand frère Tony, à l’innocente Noreen, sa belle-sœur un peu timbrée, à la petite Molly, son premier enfant trop tôt disparu, au talent de son fils journaliste qui mène sa vie aux États-Unis, et enfin à la modestie de Sadie, sa femme tant aimée, partie deux ans plus tôt. Au fil de ces hommages, c’est toute une vie qui se révèle dans sa vérité franche et poignante… Un roman plein de pudeur et de grâce qui contient toute l’âme de l’Irlande.
L’autrice (site de la maison d’édition) :
Récompensée par le John McGahern Award, Anne Griffin a publié ses nouvelles dans The Irish Times et The Stinging Fly. Elle a été libraire à Dublin et Londres, puis a travaillé pour plusieurs associations caritatives. Son premier roman, Toute une vie et un soir, est traduit en 17 langues. Née à Dublin, elle vit aujourd’hui dans le comté de Westmeath.
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Maurice Hannigan, quatre-vingt-quatre ans, est accoudé au bar du Rainsford Hotel « Je suis assis ici et j’ai mes raison, fiston, j’ai mes raisons ». « J’ai une tâche à accomplir tout à l’heure et une longue soirée qui m’attend »
Toute la soirée il parle à son fils et je me suis trouvée dans le rôle du fiston à écouter ce que Hannigan raconte, sa vie dans toute sa splendeur et sa misère.
Pour raconter, il faut une aide et là, puisque nous sommes assis au bar d’un pub irlandais, il porte des toasts à tous les membres importants de sa famille.
Pour commencer doucement, une stout pour parler de Tony, le frère aîné, celui qu’il admire tant qui l’a protégé des autres lui et sa dyslexie (à l’époque on ne connaissait pas), son inaptitude à lire et écrire correctement. Tony n’a pas survécu à une phtisie.
Là, cela devient plus sérieux, plus dur, alors, allons-y pour un verre de Bushmills (single malt 21 ans). « Celui-ci, fiston, est pour Molly, la sœur que tu n’as pas connue. ». Le plus grand remord de sa vie. Ne pas avoir été présent aux côté de son épouse. Oui, il n’a pas voulu penser qu’elle Molly était déjà morte dans le ventre de sa mère, alors, il a été faire ses affaires, acheter je ne sais quels arpents de terre. « Côté boulot, ma situation n’aurait pu être meilleure. Je prospérais. » Cette blessure de n’avoir pas été à la hauteur le poursuit tout au long de sa vie « Il y a quarante-neuf ans, j’ai rencontré Molly, une seule fois et seulement un quart d’heure. Depuis, elle a continué à vivre dans mon vieux cœur fatigué ».
Une nouvelle stout pour évoquer Noreen, sa belle-sœur, handicapée mentale qui a une passion pour tout ce qui brille. Lorsqu’elle est venue habiter chez eux, elle a été le centre de la famille, bien que difficile quelques fois.
Le quatrième toast avec un Jefferson’s Presidential Select en l’honneur de son fils Kevin son fils unique. Kevin a très bien réussi, parti aux USA, il est devenu un journaliste de renom, ce qui fait la fierté de son père bien qu’il ne le lui dise jamais, on a ses pudeurs. Ah ! La journée où il lui a annoncé son désir, m’a offert de très belles pages. Chaque année Kevin lui envoie une bouteille de whisky pour son anniversaire « Cette bouteille de Jefferson wheated de 18 ans d’âge, tu me l’as offerte l’an dernier pour Noël. Elle a passé la soirée à mes pieds dans un sac. » C’est celui qu’il déguste
Le dernier toast est pour Sadie, SA femme, celle qu’il a toujours aimée et qui lui manque tant depuis sa mort, deux ans déjà . « J’ai gardé le meilleur pour la fin, à tous points de vue. »
« Alors, tu veux la vérité pure et simple fiston ? La raison pour laquelle je suis assis là à marmonner dans mon coin, c’est elle, ça ne t’étonnera pas. Je veux que ta mère revienne, voilà tout. Seul, je n’y arrive plus. Quand je l’ai rencontrée, jamais j’aurais pu imaginé qu’un jour j’aurais du mal à respirer parce que sa brosse à dents n’est plus à côté de la mienne ». C’est simplement beau. Le chapitre sur Sadie est une si belle déclaration d’amour. Toute leur vie côte à côte, accepter la vieillesse de l’autre, s’aimer encore et encore. La mort de Sadie, Maurice ne l’accepte pas. Il a réglé ses affaires et... « J’ai compris que je n’avais pas d’autres choix que de rejoindre ta mère ».
Dans son monologue, il raconte sa vie, sa rencontre avec la famille Dollard, riches fermiers où sa mère était servante et lui, à dix ans, ouvrier agricole, enfin, apprenti. Le père Dollard bat son fils comme plâtre !et, pour se venger, celui-ci s’en prend à Maurice qui n’ose répliquer. La revanche arrive avec une pièce en or qu va tout changer
Les Dollard était une famille de possédant, riches fermiers. Le père de Maurice a pu acheter quelques arpents de terre grâce à La Land Commission qui « permit, dès les années 1920… la redistribution partielle des terres agricoles » au grand dam des Dollar qui ont perdu là des sources de revenus et ouvriers agricoles sous-payés. De plus, le père Dollard, joueur, perdait beaucoup, ce qui a précipité sa chute. La déchéance permit à Maurice d’acheter, entres autres acquisitions, petit à petit leurs terres. Même peu instruit, il a le génie des affaires. La revanche que prend Maurice est inscrite dans son passé douloureux avec la famille Dollard, les humiliations, les torgnoles ont façonné l’homme qu’il est devenu, taiseux, opportuniste, mais grand cœur (l’hôtel en est le témoin).
J’ai souri, pleuré, avec ce fabuleux conteur qu’est Maurice. J’ai aimé sa façon de narrer son histoire, sans s’apitoyer sur son sort, avec tant d’amour pour les siens et à travers, la vie rurale irlandaise du vingtième siècle
Ce n’est pas de la guimauve mais une vie emplie de tristesses, de joies, de coups du sort d’une très belle écriture. Un coup de coeur.
« Alors, tu veux la vérité pure et simple, fiston ? La raison pour laquelle je suis là à marmonner dans mon coin, c’est elle, ça t’étonnera pas. Je veux que ta mère revienne, voilà tout. »