Lydie Salvayre - Rêver debout
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Rêver debout
Lydie Salvayre
Editions du Seuil
Août 2021
208 pages
ISBN 9782021477139
4ème de couverture :
« Pourquoi, Monsieur, expliquez-moi pourquoi, vous moquez-vous de votre Quichotte lorsqu’il ne s’accommode pas de ce qu’on appelle, pour aller vite, la réalité ? »
Une femme d’aujourd’hui interpelle Cervantès, génial inventeur de Don Quichotte, dans une suite de quinze lettres. Tour à tour ironique, cinglante, cocasse, tendre, elle dresse l’inventaire de ce que le célèbre écrivain espagnol a fait subir de mésaventures à son héros pourfendeur de moulins à vent.
Convoquant ainsi l’auteur de toute une époque pour mieux parler de la nôtre, l’autrice de Pas pleurer brosse le portrait de l’homme révolté par excellence, animé par le désir farouche d’agrandir une réalité étroite et inique aux dimensions de son rêve de justice.
Un livre-manifeste, autant qu’un vibrant hommage à un héros universel et à son créateur.
Lydie Salvayre a écrit une douzaine de romans, traduits dans une douzaine de langues, parmi lesquels La Compagnie des spectres (prix Novembre), BW (prix François-Billetdoux) et Pas pleurer (prix Goncourt 2014)
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Roman épistolaire dont le destinataire n’est autre que Miguel de Cervantès Saavedra et dès les premiers lignes, le ton est donné :
« Monsieur, je vous le dis tout net, je ne suis pas d’humeur à rire, et les façons dont vous traitez votre Quichotte ne sont pas de mon goût ».
Pour Lydie Salvayre, Cervantès tourne en ridicule toutes les actions de son Quichotte et elle s’en explique, dissèque avec verve, colère, enthousiasme ou point l’amour de ce livre et de son auteur.
Quel régal de lire ce livre jamais redondant, gai, enlevé. L’autrice écrit tout le bien qu’elle pense de Quichotte et de Sancho, retourne les situations jugées grotesques, ridicules pour montrer le courage du chevalier de la Manche
« Car le Quichotte n’est pas infaillible, vous insistez pesamment, Monsieur, sur ce point, comme si vous y preniez je ne sais quel plaisir mauvais. »
« S’il est vrai que le Quichotte s’expose, se mouille, et va au charbon avec une témérité et une vaillance rares existe t-il d’autres façons, Monsieur, de faire bouger les choses ?- Il endure dans tout son corps la vérité vraie d’une bataille, autrement dit il se ramasse une fois sur deux et s’en prend plein les gencives, à la différence de ces embusqués qui, prodigues en péroraisons subversives, se croient dispensés de remuer le petit doigt, lequel repose sur un verre de charmes-chambertin qu’ils sirotent, les yeux mi-clos et l’air pénétré dans leur salon cosy et devant un feu de cheminée, si faire se peut. »
Et pan, dans les gencives des planqués-nantis-beaux causeurs, experts en tout et rien, technocrates imbus de leurs savoirs. « Or, don Quichotte l’affirme avec fermeté, obtenir un titre prestigieux après des années d’intrigues, de calculs, de trahisons, de sollicitations, de manigances savantes ou d’infâmes flagorneries, pratiques regroupées de nos jours sous le nom d’arrivisme, lui semble misérable. » Rien a changé sous notre ciel ma pov’Lucette ! Un lien efficace vers notre époque actuelle tout pareil à celle de Quichotte
C’est cela le ton du livre, où Lydie Salvayre fait des retours sur la vie de sa famille comme le sabir de sa mère. Et puis, comme Quichotte, elle a la liberté chevillée au corps, son écriture généreuse doit lui ressembler et je comprends sa grande admiration pour Cervantès et son héros. D’ailleurs, elle écrit « J’ai en effet le sentiment que vous lui (Quichotte) faites endosser tout ce que vous ne pouvez formuler ouvertement ; et que vous l’amenez adroitement à dire à votre place vos quatre vérités » comme Molière le fait avec ses pièces de théâtre
Un bel hommage au chasseur de moulins à vent qui fait montre de sa générosité, de son amour du prochain, du plus pauvre, de ses distances avec le pouvoir qu’il soit civil ou religieux. Le Quichotte est un utopiste qui ose et qui échoue, c’est ce que l’autrice nous explique dans le paragraphe 5.
« Face à ces temps sauvages, nous espérons toujours que des don Quichotte nouveaux tournent enfin leur colère contre nos dieux de plâtre, et nous ouvrent la marche ». Il ne reste qu’à trouver cette perle rare !
Quelle lecture, quel plaisir. Un livre où l’indignation et l’hommage se mêlent. Un très bel hommage à don Quichotte et son auteur. Tout au long de cette lecture, j’avais « L’homme de la Mancha » dans la tête « Un mec très bien, incroyablement minoritaire -Jacques Brel)
« Celui qui ne sait pas saisir le bonheur quand il vient ne doit pas se plaindre quand il passe. » Phrase d’une grande sagesse que l’autrice a mis dans la bouche de Sancho, le sage, l’homme des réalités.
Un coup de cœur