Emilienne Malfatto - Que sur toi se lamente le tigre

 

Que sur toi se lamente le tigre

Emilienne Malfatto

Editions Elyzad

septembre 2020

80 pages

ISBN : 9789973581228

 

4ème de couverture :

Dans l'Irak rural d'aujourd'hui, sur les rives du Tigre, une jeune fille franchit l'interdit absolu: hors mariage, une relation amoureuse, comme un élan de vie. Le garçon meurt sous les bombes, la jeune fille est enceinte: son destin est scellé. Alors que la mécanique implacable s'ébranle, les membres de la famille se déploient en une ronde d'ombres muettes sous le regard tutélaire de Gilgamesh, héros mésopotamien, porteur de la mémoire du pays et des hommes.

Inspirée par les réalités complexes de l'Irak qu'elle connait bien, Émilienne Malfatto nous fait pénétrer avec subtilité dans une société fermée, régentée par l'autorité masculine et le code de l'honneur. Un premier roman fulgurant, à l'intensité d'une tragédie antique.

L'autrice (site de la maison d'édition)

Emilienne Malfatto est née en 1989. Elle a étudié en France et en Colombie et est diplômée de l’école de journalisme de Sciences Po Paris. Elle a ensuite intégré l’AFP, en France puis le desk Moyen-Orient à Chypre. Depuis 2015, elle travaille comme journaliste et photographe indépendante, notamment en Irak. Le Prix France Info-Revue XXI lui a été décerné en 2015 pour son reportage Dernière escale avant la mer. En 2019, son projet Al-Banaat, dans le sud de l’Irak, a été distingué par le Grand prix de la photographie documentaire de l’IAFOR. Elle collabore régulièrement avec le Washington Post dont une de ses photos a fait la Une, et le New York Times. Que sur toi se lamente le Tigre est son premier roman. Mention spéciale des lecteurs Prix Hors Concours 2020, finaliste du Prix Régine Desforges 2020, il a été récompensé en mai 2021 par le Prix Goncourt du Premier Roman.

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« La mort est en moi. Elle est venue avec la vie. »

« Nous naissons dans le sang, devenons femme dans le sang, nous enfantons dans le sang. » Dans le cas de la narratrice, la mort sera aussi dans le sang.

Cette jeune fille a accompli l’acte de chair sans être mariée. Ils étaient pourtant quasi fiancés, destinés l’un à l’autre. Avant de partir à la guerre, il n’a pu s’empêcher de la pénétrer, sans plaisir pour elle. En Irak, même l’Irak d’aujourd’hui, perdre sa virginité avant le mariage signifie la mort, la mort donnée par le frère aîné pour laver l’honneur de la famille. Il vaut mieux une fille morte qu’une famille déshonorée.

Et, comme refrain, la chanson du Tigre, le fleuve qui traverse Bagdad, qui charrie tous ces corps sans vie dus à la guerre.

La jeune femme sait qu’elle doit mourir, son presque fiancé est, lui, mort à la guerre, à Mossoul et son corps y est écrabouillé par une bombe. Son cercueil est vide. Depuis, elle-même est morte puisqu’elle a perdu son amour.

Emilienne Malfatto donne la parole à chaque membre de la famille en cette journée funeste. Chacun, malgré sa peine, accepte cette fin inéluctable

Baneen, la belle-sœur, la femme de celui qui tuera « Je suis l’épouse, la femme soumise, la femme correcte, celle qui respecte les règles, qui ne les discute pas ». Et plus important « Celle qui ne peut concevoir qu’on ne les respecte pas. »

Oui, les femmes ne cherchent pas à s’émanciper, elles entrent dans le moule comme leurs mère l’ont fait avant elles

Amir, le frère aîné devenu le chef de famille après la mort du père. « Je suis le frère, celui par qui la mort arrive. Je suis l’honneur de la famille, l’aîné, le dépositaire de l’autorité masculine -la seule qui vaille, qui ait jamais valu. Je suis le frère qui a pris le rôle du père. Je règne sur les femmes. » Qu’il le veuille ou non, il agira tout à l’heure « Ce n'est pas moi qui tuerai, mais la rue, le quartier, la ville, le pays. »

Oui, la tradition… En son nom, on maintient les femmes dans l’enfermement, elles qui comptent moins que le bétail dans les campagnes

« J’ai survécu à la guerre et ce soir je vais tuer. Je vais mourir un peu en tuant. Mais mon bras ne tremblera pas. »

Mohammed, l’amour, le presque fiancé, celui par qui le drame arrive. Il est mort et ne connaîtra pas le fruit de leur amour qui mourra avec sa mère. « Ma jouissance a été leur châtiment. Dans ce pays de sable et de scorpions, les femmes payent pour les hommes. »

Oui, les femmes paient pour les hommes, c’est toujours leur faute, jamais celle de leurs maris, amants, voisins… Pourquoi tant de haine ?

Hassan est le petit frère qui n’a pas la charge familiale. « Si je pouvais, si j’étais un homme, j’arrêterais le bras de l’assassin ». Aurait-il tué s’il avait été contraint ? Certainement, pas assez fort pour s’opposer. C’est qu’il en faut de la force pour s’opposer à la masse inerte, au mur infranchissable de la tradition. « Je suis le garçon dont l’avenir n’est pas encore écrit. Je suis celui qui, peut-être, ne sera pas un assassin. »

La mère, « A chaque enfant, à chaque guerre, à chaque humiliation quotidienne de ce monte fait pour les hommes, je me suis voûtée un peu plus, je me suis tassée sous mes voiles noirs. Il y a bien longtemps que je ne ris plus ». Jeune, elle a épousé l’homme qu’on lui destinait, a subi et transmis la tradition « Mon fils va tuer ma fille et je ne m’y opposerai pas… J’ai depuis trop longtemps accepté les règles. »

Ali, l’autre frère, un grand-frère copain un peu plus moderne « Celui qui voudrait tout arrêter, mais qui n’arrêtera pas l’assassin ». Lui aussi, malgré sa « modernité » ne s’oppose pas à l’assassinat de sa sœur pour une question d’honneur, une simple et bête question d’honneur, mais les lois non écrites sont plus fortes que les lois écrites. « Je suis un homme bien mais je suis un homme lâche, et ces règles que je condamne, que je déplore, sont mon excuse. Je pourrais m’opposer à mon frère mais notre monde est ainsi fait, et il n’y a rien à ajouter, et je n’ai plus à me dresser contre lui. La société est ma meilleure dérobade, le refuge de la légende personnelle. »

Personne ne s’oppose à l’assassinat de la fille, sœur, belle-sœur, non, personne. Tout le monde vivra désormais avec cette croix, ce souvenir, mais rien n’arrête la machine.

La construction de ce roman me fait penser à une ronde infernale des membres de la famille autour de celle par qui le scandale arrive. Une tragédie antique dans l’Irak moderne. Des extraits du récit de Galgamesh et de récits poétiques sur le Tigre qui traverse le pays et qui est, de ce fait, le témoin de tout "Je connais la folie des hommes. Mille fois, j'ai vu leur vanité les conduire à la ruine."

Quatre-vingt pages percutantes, superbes, où les phrases souvent courtes me font ressentir l’urgence, le peu de temps qui reste, s’écouler.

Un coup de cœur pour ce petit livre qui a reçu le prix Goncourt du premier roman ; distinction méritée.

Les Editions Elyzad font un travail superbe et certainement dangereux pour nous permettre de découvrir des auteurs hors du commun et des textes très forts

 

 

 

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B
Hélas ce petit livre est en rupture d'édition, je vais devoir patienter; à moins qu'une bibliothèque ait eu du flair
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Z
Cela se pourrait, je l'espère pour toi
A
Je note ce titre, merci. Un roman qui a l'air fort.
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Z
Surtout avec ce qui se passe en Afghanistan
V
un bel enthousiasme ! Même si ce n'est pas trop mon genre, je retiens le titre.
Répondre
Z
Il est très court et si dense !
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