Jean-Marie Bals de Roblès - Ce qu'ici-bas nous sommes
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4ème de couverture :
Qui peut jurer de ne pas inventer, au moins en partie, ses souvenirs ? Certainement pas Augustin Harbour. Quarante ans plus tôt, errant dans le désert du Sud libyen, il est tombé sur une mystérieuse oasis : Zindān. On y arrive de n’importe où, de n’importe quand, et aucun des autres voyageurs échoués là ne sait comment en repartir. C’est que Dieu lui-même apparemment y vit, en compagnie de son envoûtante vestale, Maruschka Matlich.
Réfugié dans une clinique de luxe, sur les rives du lac Calafquén au Chili, carnets, croquis et annotations à l’appui, Augustin dresse l’inventaire de cette extravagante épopée, des habitants et de leurs mœurs étranges – tabous alimentaires, pratiques sexuelles, objets sacrés et autres signes parleurs –, qui prend vite des allures de fantasmagorie. Présent et imaginaire se mêlent, comme pour une dangereuse immersion au cœur des ténèbres.
Un roman phénoménal où l’on retrouve toute la fantaisie, l’humour, la virtuosité et l’érudition de l’auteur de Là où les tigres sont chez eux. Et un fameux coup de crayon !
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La conception du livre m’a rappelé « L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. SPIVET » de Reif Larsen, par les dessins dans les marges.
« Ce roman est une fantasmagorie, mais il s’inspire d’un fait réel : « l’épreuve de lucidité » qui permit à un homme d’échapper à son enfermement. » Un prologue qui me met dans le bain !
Présentement dans une maison de repos sur les bords du lac Calafquén au Chili, le professeur Binswanger incite Augustin Harbour à « mettre un peu d’ordre dans le chaos de mes souvenirs » de ses aventures passées il y a environ quarante ans.
« Je devrais intituler mon récit Histoire mensongère, car tout ce que je m’apprête à raconter, je l’ai vu de mes propres yeux, entendu de mes propres oreilles, et donnerais cher pour me persuader que j’ai seulement rêvé. »
Augustin Harbour, marche dans le désert de Syrie à la recherche de Garama « capitale disparue du royaume de Garamantes ». Après avoir survécu à une grosse tempête de sable qui a modifié l’axe de la boussole, sans vivres « Dattes et farine d’orge avaient fini par s’épuiser, nos outres sèches pendaient au flanc des dromadaires ; nous en vînmes à lécher au creux des roches le peu d’humidité qu’y déposait la rosée du matin » ils aperçoivent « au centre d’une dépression inattendue, le ruban de verdure d’une palmeraie, puis les murailles et les terrasses blanches de la ville qu’elle entourait. Au regard incrédule et un peu effrayé de Hamza, je sus qu’il découvrait cette oasis pour la première fois. C’était du moins un lieu habité où se trouvait à coup sûr notre salut. »
Accueillis avec joie par les habitants, Augustin se fait anthropologue pour décrire la vie de l’oasis. Zindān, c’est son nom, ne figure sur aucune carte ; Ils ne savent pas comment ils ont atterri ici, pire, arrivent des voyageurs d’époques différentes, Ils ne peuvent en sortir. et, cerise sur le gâteau, ils se comprennent tous alors que venant de contrées diverses et variées, ne parlent pas la même langue. Il nous décrit les mœurs et règles de vie on ne peut plus singulières qui régissent l’oasis. Chaque quartier est habité par une entité différente au nom cocasse : les Amazones, les Jujubiers, les trayeurs de chiennes, les mangeurs de crevettes. J-M Blas de Roblès nous aide avec ses croquis et collages fort bien réussis, hauts non pas en couleurs (ils sont en noir et blanc) mais en détail cocasses. J’ai, entre autre, appris que le QR code existait depuis longtemps et était, à la base, un tatouage ethnique !! Harbour se fait un devoir de découvrir ce qui se cache derrière Hadj Hassan qui se considère d’essence divine et que les habitants considèrent comme leur dieu ; Tout passe par et dépend de lui, il a un ascendant fou sur l’oasis.
Avec ce livre, je suis entrée dans une autre dimension. Les descriptions très figuratives sont superbes, les sauts entre une époque passée indéterminée et un maintenant tout aussi indéterminé relèvent d’une gymnastique drolatique avec des trouvailles abracadabrantesques (j’adore ce mot !). Quel feu d’artifice aux bouquets finaux nombreux
Il y a des chapitres intitulés « Ricordis » souvenirs en italien si j’en crois le traducteur informatique. Or, dans ces moments, il narre ce qui se passe au temps présent de son séjour chilien, alors que les souvenirs sont écrits dans les autres chapitres. Où sont réellement les souvenirs, la fantasmagorie, la vérité ? Je navigue entre les deux sans aucun problème, je flotte dans l’oasis comme sur le lac.
Ce bouquin est une entrée dans le monde onirique de l’auteur à l’imagination débordante et créative. Quelle érudition, quel vocabulaire, quel plaisir de lecture à chaque page. Quel plaisir de se laisser aller au gré des imaginations de Jean-Marie Blas de Roblès. La rigueur implacable, ligne de conduite de ce livre, permet une réalité à la fantasmagorie, aux délires.
« Ce roman est une fantasmagorie, mais il s’inspire d’un fait réel : « l’épreuve de lucidité » qui permit à un homme d’échapper à son enfermement. »
J’y ai trouvé quelques piques envers notre société actuelle comme la déification de Hadj Hassan que le naufragé de l’oasis considère comme un imposteur et il veut absolument démystifier ce thaumaturge et sa vestale. J’ai même, mais peut-être vais-je trop loin, trouvé un petit air de Eve chassée avec Adam du paradis terrestre, dans les rapports entre Maruschka Matlich et Augustin ! Mais n’est-ce pas le chic de ce livre de pousser notre imagination à produire ses propres effets ? La bataille des dieux, entre Hadj Hassan et Siméon l’hérésiarque « Je suis le seul Dieu, commença-t-il, je suis la beauté de Dieu, je suis tout ce qui est en Dieu. J’ai volé jusqu’à vous dans une boule de feu. Pour toute ambition dans l’amour qui m’inonde, j’aspire à devenir le décrotteur du monte… Chassez le vil imposteur qui porte le nom de Hadj Hassan » Même ici, il y a des guerres de religion !
Pour écrire cette chronique, j’ai ré-ouvert le livre aux pages notées et, j’ai continué, trouvé d’autres ouvertures, trouvailles, curiosités.
Un livre total foutraque, singulier pluriel, très logique et rigoureux dans son excentricité et puis, quel vocabulaire, quelle écriture.
Un coup de cœur et un livre que je regrette de devoir rendre à la bib !
« Zindān existe, ou a existé, peu importe. Pourquoi devrait-on se guérir d’une fiction alors même qu’elle se tient devant nous comme la seule réalité qui vaille ? »