Gilles Marchand - Requiem pour une Appache
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Editions aux forges de Vulcain
4ème de couverture :
Jolene n’est pas la plus belle, ni forcément la plus commode. Mais lorsqu’elle arrive dans cet hôtel, elle est bien accueillie. Un hôtel ? Plutôt une pension qui aurait ouvert ses portes aux rebuts de la société : un couple d’anciens taulards qui n’a de cesse de ruminer ses exploits, un ancien catcheur qui n’a plus toute sa tête, un jeune homme simplet, une VRP qui pense que les encyclopédies sauveront le monde et un chanteur qui a glissé sur la voie savonneuse de la ringardisation.
L’auteur (site de la maison d’édition) :
Gilles Marchand est né en 1976 à Bordeaux. Batteur dans un groupe de rock, il se tourne vers l’écriture de nouvelles en 2010. Son premier roman, Le Roman de Bolaño en 2015 aux éditions du Sonneur, est écrit en collaboration avec Éric Bonnargent, et suscite l’enthousiasme des libraires et des lecteurs du romancier Roberto Bolaño.
C’est avec son premier roman solo qu’il rencontre un grand succès : Une bouche sans personne est publié en 2016. D’abord sélectionné parmi les « Talents à suivre » par les libraires de Cultura, il remporte le prix Libr’à Nous, le Coup de cœur des lycéens du Prix Prince Pierre de Monaco en 2017 et le prix du meilleur roman francophone Points Seuil en 2018.
Son deuxième roman, Un funambule sur le sable, publié en 2017, est un succès et impose cet écrivain original, qui mêle réalisme magique et humanisme, comme l’héritier de Boris Vian, Romain Gary et Georges Perec.
En 2018, il recueille les nouvelles qu’il a publiées dans divers collectifs aux éditions Antidata au sein d’un seul volume, qu’il étoffe d’inédits : Des mirages plein les poches. Ces textes reçoivent le prix du premier recueil de nouvelles de la Société des Gens de Lettres.
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« Il aurait fallu commencer par le début mais le début, on l’a oublié. Ça a démarré bien avant nous. Et bien avant elle.
Rome ne s’est pas faite en un jour, la légende de Jolene non plus. On la présente aujourd’hui comme la meneuse d’une troupe d’insurgés. Plutôt que d’insurgés, ça tenait davantage d’une cour des Miracles contemporaine accueillant les trop maigres, les trop gros, les trop petits ou trop grands, les trop ceci ou trop cela, les roux, les Arabes, les Noirs et les Chinois.
Mais cette histoire n’aurait certainement jamais existé si les termes utilisés avaient été ceux-là. Parce que ce n’est pas les « Chinois », les « Arabes » ou les « trop gros » qu’on les appelait… Dans la réalité, elle était entourée par les chinetoques, les bougnoules et les bamboulas, les youpins, les gros tas et les boudins, les sacs d’os, les Poil de carotte, les nabots et les avortons, les salopes et les pétasses, les gouines et les pédés, les garçons manqués, les efféminés, les ploucs et les bouseux, les mongoliens et les débiles, les crânes d’œuf et les Queue-de-rat, les rastaquouères, les bâtards, les anciens taulards, les nouveaux crevards et les néoclochards, les boiteux, les bigleux, les neuneus, les peureux, les pas sérieux. Les vieux. Ceux qu’on ne veut plus, les rebuts de la société, les inutiles. Ceux qui n’ont plus rien à nous apprendre, qu’on n’écoute plus, qu’on ne veut plus entendre. Les pas comme il faut, les mal élevés, les malhabiles, les mal finis, les mal foutus, les malades, les bancals. Les sourdingues, les doux dingues et les baltringues.
Tous ceux qui prennent trop de place, qui ne rapportent pas assez d’argent, qui ne sont pas faits du bon bois, pas du bon moule, qui n’ont pas la taille standard. Entrée des artistes, sortie à l’hospice. Et sans un bruit. On ne veut pas vous entendre, on ne veut pas vous voir, on veut vous oublier. Surtout vous oublier. Faire semblant que vous n’existez pas, que vous n’avez jamais existé, que vous n’existerez jamais.
Cette drôle de troupe avait fini par rassembler tous ceux qui avaient, un jour ou l’autre, été insultés pour ce qu’ils représentaient. Jolene leur a donné une voix. La sienne. »
Quel manifeste ! Quelle entrée en matière !
Jésus (peut-être a t-il été prêtre avant, enfin c’est la rumeur qui le propage) tient un petit hôtel miteux mais pas borgne. Il y met tout son amour des autres. Habitent ici des déclassés de la société, une ancienne gloire de la chanson qui est également le narrateur, une vendeuse d’encyclopédie de couleur, un ancien catcheur, un couple de voleurs… Ce ne sont pas des déchets, loin de là, seulement des gens qui sont restés ou retournés sur le bord de la route, des perdants. Chacun paie sa chambre à l’aune de ses moyens et ce système fonctionne dans la confiance, avec l’amitié en prime.
Un lieu idyllique ? Non, Un hôtel, genre pension de famille où certains ont trouvé la chaleur humaine qui leur manquait et c’est ce qui a attiré Jolene, baptisée ainsi grâce à une chanson de Dolly Parton qu’elle met toujours sur le juke-box de la salle à manger, salle à vivre. Jolene est un bout de femme en colère. Depuis toujours, elle a été ni trop, ni pas assez, ou trop et pas assez, couleur passe-muraille, mais pas assez pour que les autres ne se moquent pas de ses fringues sans forme. Elle a des rêves de peinture tour Eiffel plein les yeux. Son père, peintre sur la Tour, licencié pour cause d’alcoolisme, lui parlait de sa fierté de rendre belle la grande dame. Elle, ils n’ont pas voulu l’engager, quoi, une femme sur la tour, impossible, c’est trop dangereux, et patati et patata. Alors, elle a tout arrêté, travaillé comme caissière dans un supermarché. Elle ne recueille jamais un sourire des clients, c’est bien simple, pour eux, elle n’existe pas, c’est une machine qui doit leur sourire et leur parler gentiment. Sur son buste, le badge portant son prénom et le patron refuse qu’elle le remplace par son nom pour qu’elle soit quelqu’un, qu’elle soit nommée. Non, impossible, elle doit se couler, se fondre dans sa caisse enregistreuse. Alors, elle plaque le boulot
Elle aime passer boire un verre à l’hôtel car elle s’y sent chez elle. Un jour qu’elle était avec les autres, un employé du gaz vient relever le compteur.
« Pas de bonjour, juste un « Relevé de compteur du gaz. ». Jésus, quand il n’y a pas de bonjour ou de formule de politesse, il ne répond pas. Il est vieux jeu »
Tout est parti de là, de la réponse de l’employé du gaz « Je ne suis pas payé pour être poli. C’est pas des mongoliens qui vont m’expliquer la vie. »
Il s’est retrouvé face à une Jolene, calmement remontée qui lui a fait comprendre que ces manières, ne convenaient pas... jeté dehors le gazier. Même chose pour la seconde visite. Pas de bonjour, pas de relevé. La coupure du gaz ne les a pas fait changer d’avis. Jolene a osé et tous lui ont emboîté le pas, l’ont soutenue, jamais lâchée.
Les choses ont pris de l’importance avec la venue de la télévision, et les voici dépassés par les évènements
Cette histoire se rapproche de la révolte des gilets jaunes qui procède du même raisonnement, ne plus être des riens, mais devenir visibles, exister face à l’impitoyable machine économique.
Sur un rythme rock’n roll distillé par les vieux standards du juke-box, j’ai aimé voir la mayonnaise prendre. L’auteur raconte une histoire, une révolte spontanée, farce tragique où évoluent l’amour, l’amitié, la bienveillance, la dignité, mâtinées d’autodérision. Une bande de bras cassés, de Pieds Nickelés qui forcent l’admiration.
Le ton est alerte, enlevé, émouvant, drôle, poétique, total foutraque comme j’aime. Merci ami(e)s blogueurs(ses) pour cette belle découverte. Je vais remonter vers les livres précédents de Gilles Marchand.