Marie-Hélène Lafon - Histoire du fils
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Histoire du fils
Marie-Hélène Lafon
Editions Buchet-Chastel
Août 2020
176 pages
ISBN 9782283032800
4ème de couverture :
Le fils, c’est André. La mère, c’est Gabrielle. Le père est inconnu.
André est élevé par Hélène, la sœur de Gabrielle, et son mari. Il grandit au milieu de ses cousines. Chaque été, il retrouve Gabrielle qui vient passer ses vacances en famille.
Entre Figeac, dans le Lot, Chanterelle ou Aurillac, dans le Cantal, et Paris, Histoire du fils sonde le cœur d’une famille, ses bonheurs ordinaires et ses vertiges les plus profonds, ceux qui creusent des galeries dans les vies, sous les silences.
Avec ce nouveau roman, Marie-Hélène Lafon confirme la place si particulière qu’elle occupe aujourd’hui dans le paysage littéraire français.
L’autrice (site de la maison d’édition) :
Marie-Hélène Lafon est professeur de lettres classiques à Paris. Tous ses romans sont publiés chez Buchet/Chastel.
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En plusieurs tranches de vies successives ou, plutôt de tableaux, Marie-Hélène Lafon raconte l’histoire du fils.
Jeudi 25 avril 1908 . Chez Paul, branle-bas de combat pour la grande lessive mensuelle. Armand, tout à la joie de retrouver celle qui l’élève, celle qui l’aime comme son propre fils, se jette dans ses bras alors qu’elle se retourne avec une grande lessiveuse d’eau bouillante dans les mains. Le cri hurlé a réveillé son jumeau Paul. Onze années plus tard, Paul est pensionnaire. Malade, il fait la connaissance de la nouvelle et sémillante infirmière qui met tous ses sens en transe. Je comprendrai ces premiers pages plus tard.
Le fils, André, a deux mères. Sa génitrice Gabrielle, célibataire, vit à Paris. Lorsqu’elle se découvre enceinte, elle décide de le garder.
« Ce cheval échappé qui avait d’abord fait l’infirmière à Aurillac, était maintenant employée à Paris, on ne savait pas trop dans quoi, et avait fini par attraper un enfant, un garçon, sans père. »
Comme convenu avec sa sœur Hélène, c’est cette dernière qui l’élève au milieu de ses propres filles et avec son mari. N’allez pas croire que le garçon est malheureux, ni qu’il ressent un manque. Non, il est heureux avec ses soeurs-cousines, son oncle-papa et sa tante-maman. Gabrielle, elle, ne vient que quatre semaines par an, pas assez pour tisser de vrais liens.Heureusement, la mère n’a pas « régularisé » et le petit est resté. « On avait gardé le trésor, on avait gardé Dadou ; finalement la vie, parfois, faisait bien les choses ».
Bien sûr, de temps à autre se pose à lui la question de ce père inconnu. Mais, ces questions semblent fugaces
« Il a un père inconnu, et il serait donc lui aussi un fils inconnu ».
Gabrielle ne révèle le nom du père que le jour du mariage de André et, encore, la révélation est faite à sa nouvelle épouse. Leur fils, Antoine, adulte cherchera les traces du père.
Marie-Hélène Lafon rassemble la vie de cette famille éparpillée façon puzzle (Oh ! Chers tontons flingueurs!) et ce, avec une douceur qui lui est propre. Comme de petits tableaux, scènes de la vie rurale à travers le 20ème siècle.
Une réflexion sur la filiation, sur l’amour maternel, parental. Un enfant élevé avec bonheur et amour sera toujours heureux, même si ce ne sont pas ses parents naturels. L’amour filial et parental fait la famille. André est heureux ainsi, il connaît sa mère utérine mais son amour filial se porte vers sa maman-tata. L’amour maternel n’est pas inné, ne se décrète pas à la naissance de l’enfant. Il s’apprivoise, se construit, pour peu qu’on lui laisse une place, ce que la mère d’André ne peut ni ne veut faire. Cela ne fait pas d’elle une ogresse, mais une femme avec ses complexités.
La paternité est également abordée. Le père d’André qui n’a rien su de sa paternité est père par l’ADN, mais cela fait-il de lui un père, un papa ? L’état n’aboutit pas à la fonction.
Une histoire de famille, le secret du père non révélé et c’est le fils d’André, donc le fils du fils, qui recolle les morceaux de l’histoire du fils.
Gabrielle, la parisienne, la solitaire, dont l’histoire est en filigrane dans le livre, en est le personnage principal. Une femme qui a suivi son jeune amant à Paris, qui ne se révèle pas, qui ne réclame pas sa maternité, qui ne demande pas l’amour de son fils, qui ne lui demande pas de l’aimer, mais qui ponctuellement vient chaque été, seule, silencieuse. Même sa mort ne révélera pas le secret de sa vie qui paraît monacale.
« Ils avaient craint un certain désordre et de fâcheuses accumulations qui leur eussent compliqué la tâche. Ils découvraient, soulagés, un salon et une chambre peu meublés… impeccables, quasi monacales »
« Trente-six ans plus tard, il découvrait la vraie vie de sa mère, se »s traces, ses plis d’être, son fauteuil vert très fatigué, la nudité de sa chambre, son armoire parfaitement rangée »
« Rue de la Roquette, on comprenait que la Parisienne avait vécu sans faste, même si ses grands airs eussent aisément pu la faire passer pour ce qu’elle n’était pas. André, posé au bord du lit, dans la chambre nue, s’était soudain senti très las, comme accablé d’un poids de silence et de secret qui était son lot de fils ; père inconnu et mère à double fond. »
Marie-Hélène Lafon joue avec les silences, le vent, sa terre auvergnate, ses âmes auvergnates. Avec une grande pudeur, des petites marques, des observations sibyllines, elle raconte la vie quotidienne, ses secrets, ses pleurs, ses rires ; communions, mariages, jours de fête… Son écriture semble simple, mais non, tout est pesé, ciselé, les temps verbaux aux petits oignons, une langue française magnifiquement simple et sublime. Un régal de lecture.
Coup de coeur.