Erri de Luca - Impossible
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4ème de couverture :
On part en montagne pour éprouver la solitude, pour se sentir minuscule face à l’immensité de la nature. Nombreux sont les imprévus qui peuvent se présenter, d’une rencontre avec un cerf au franchissement d’une forêt déracinée par le vent.
Sur un sentier escarpé des Dolomites, un homme chute dans le vide. Derrière lui, un autre homme donne l’alerte. Or, ce ne sont pas des inconnus. Compagnons du même groupe révolutionnaire quarante ans plus tôt, le premier avait livré le second et tous ses anciens camarades à la police. Rencontre improbable, impossible coïncidence surtout, pour le magistrat chargé de l’affaire, qui tente de faire avouer au suspect un meurtre prémédité.
Dans un roman d’une grande tension, Erri De Luca reconstitue l’échange entre un jeune juge et un accusé, vieil homme «de la génération la plus poursuivie en justice de l’histoire d’Italie». Mais l’interrogatoire se mue lentement en un dialogue et se dessine alors une riche réflexion sur l’engagement, la justice, l’amitié et la trahison.
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Première page déroutante. Question-réponse, typographie machine à écrire. Je comprends très vite qu’il s’agit d’un interrogatoire « Peut-être, mais il ne s’agit pas d'une conversation entre deux voyageurs dans un train. Je suis interrogé par un magistrat ». Mais, l’interrogé a du caractère « Vous décidez des sujets, mais moi je décide si j’ai envie de livrer ou non un souvenir. »
Lorsque le livre débute, l’interrogatoire n’en est pas à son commencement. Le juge demande une nouvelle fois au narrateur de raconter la fameuse journée. Parti tôt le matin escalader la vie du Bandiarac de son pas de montagnard régulier. Il a fait ce choix pour « me sentir à l’écart du monde ». Or, à 7h30 le matin, il aperçoit quelqu’un qui le précède et le laisse donc filer sans tenter de le rattraper. « Quand c’est moi qui tombe sur quelqu’un de plus rapide, je ralentis et je lui cède le passage. Je n’aime pas avoir quelqu’un dans mon dos. »
Arrivé à un éboulement, il pense faire demi-tour et là, dans ses jumelles, voit des vêtements sur les rochers. De suite, il compose le 112 pour prévenir les secours.
Pourquoi le juge met tant la pression sur l’interlocuteur ? Tout simplement parce que le tas de vêtements en bas est le corps d’un homme qu’il a très bien connu, dont il était très proche du temps de la révolution, de la lutte armée, des brigades rouges. Cet homme, repenti, les a tous dénoncés, ce qui en fait un traître à la cause et à ses amis. Le narrateur a été arrêté, emprisonné à cause de lui. Le juge pense dont qu’il pourrait y avoir un lien, mais ne possède aucune preuve.
Le narrateur, homme devenu philosophe, libre, se refuse à endosser la tenue de coupable que veut lui faire endosser le juge. Pourtant entre les deux hommes, aucune colère, aucun mot plus haut que l’autre. Le vocabulaire y est aride, sec.
Petit-à-petit, l’accusé décrit ses balades en montagne, parle de son engagement. De judiciaire, le dialogue devient quasi philosophique telle une conversation entre deux hommes, l’un âgé avec une expérience de vie très riche et de l’autre un jeune magistrat qui ne semble pas en avoir la morgue qui découvre un pan de l’histoire de l’Italie « ça m’intéresse. En marge de l’objectif de cet entretien entre enquêteur et suspect, j’écoute un point de vue sur l’histoire ».
L’accusé entre deux interrogatoire est emprisonné au secret où il ne se morfond pas, « Là-dedans, il y a un tas de raisons pour cesser de croire en quelque chose. Alors je m’en sors en cessant de croire à la cellule. » Il se récite de poèmes et écrit des lettres, jamais envoyées, à son amour. Lettres retranscrites dans le livres en italique et avec une autre police. Là, le vocabulaire est riche, poétique, beau. « L’aveu d’une engeance politique servirait à fermer une parenthèse restée ouverte jusqu’à aujourd’hui. Car aucun de ceux qui ont trahi leurs propres camarades n’a été atteint par une vengeance. Le plateau de la balance reste incliné. »
De étroit et juridique, le dialogue s’ouvre, même si chacun reste sur ses positions ; il s’installe comme un débat philosophique entre les deux hommes. L’un, riche de son expérience, de son passé, l’autre riche de son futur et, malgré son rôle de juge, avide des connaissances portées par cet homme devenu un sage.
Au cours du tête-à-tête, l’un parle du tennis « La raquette utilisée comme une massue et comme une caresse. Le bruit des coups qui varie du claquement de doigts au bruissement d’une poignée de main », l’autre de Pascal « Avec son « comme si » Pascal élève la fiction à une règle der vie. Son hypothèse n’en n’est pas une, parce que les hypothèses doivent être examinées et vérifiées. C’est justement une fiction choisie de parti prix, qui résout le rapport avec ce qu’il n’est pas donné de connaître. »
Des joutes verbales, des discussions, un interrogatoire feutré, quasi serein où chacun reste campé dans ses convictions « Au bout du compte, personnellement, je me suis renforcé dans mes convictions. Et officiellement, j’ai été battu. »
J’ai aimé ce contraste entre les deux écritures, celle froide de l’interrogatoire et celle chaude, lumineuse des lettres à l’amour.
Dans ce livre, j’y ai trouvé des thèmes cher à Erri. La montagne, la fraternité, l’entraide, la liberté.
Un coup de cœur.
« Vous appelez victime quelqu’un qui est allé se fourrer tout seul au mauvais endroit. Une victime c’est quelqu’un qui ne fait renverser sur un passage piéton. »
« Le signe = ne veut dire ni égalité ni égalisation. Il veut dire équivalence, c’est-à-dire des valeurs personnelles sur lesquelles on établit une relation réglée par le signe des deux petits traits. L’égalité est une idée politique. »
« Vous appelez victime quelqu’un qui est allé se fourrer tout seul au mauvais endroit. Une victime c’est quelqu’un qui ne fait renverser sur un passage piéton. »
« Le signe = ne veut dire ni égalité ni égalisation. Il veut dire équivalence, c’est-à-dire des valeurs personnelles sur lesquelles on établit une relation réglée par le signe des deux petits traits. L’égalité est une idée politique. »