Akira Mizubayashi - Âme brisée
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Âme brisée
Akira Mizubayashi
Editions Gallimard
Août 2019
256 pages
ISBN : 9782072840487
4ème de couverture :
Tokyo, 1938. Quatre musiciens amateurs passionnés de musique classique occidentale se réunissent régulièrement au Centre culturel pour répéter. Autour du Japonais Yu, professeur d’anglais, trois étudiants chinois, Yanfen, Cheng et Kang, restés au Japon, malgré la guerre dans laquelle la politique expansionniste de l’Empire est en train de plonger l’Asie.
Un jour, la répétition est brutalement interrompue par l’irruption de soldats. Le violon de Yu est brisé par un militaire, le quatuor sino-japonais est embarqué, soupçonné de comploter contre le pays. Dissimulé dans une armoire, Rei, le fils de Yu, onze ans, a assisté à la scène. Il ne reverra jamais plus son père... L’enfant échappe à la violence des militaires grâce au lieutenant Kurokami qui, loin de le dénoncer lorsqu’il le découvre dans sa cachette, lui confie le violon détruit. Cet événement constitue pour Rei la blessure première qui marquera toute sa vie...
Dans ce roman au charme délicat, Akira Mizubayashi explore la question du souvenir, du déracinement et du deuil impossible. On y retrouve les thèmes chers à l’auteur
d’Une langue venue d’ailleurs : la littérature et la musique, deux formes de l’art qui, s’approfondissant au fil du temps jusqu’à devenir la matière même de la vie, défient la mort.
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L’auteur (site de la maison d’édition) :
Écrivain et universitaire japonais, Akira Mizubayshi est né en 1951. Il enseigne le français à l'université Sophia de Tokyo. Il est l'auteur de plusieurs livres écrits en français aux Éditions Gallimard, dont Une langue venue d'ailleurs (L'Un et l'autre, 2011) qui a reçu le prix littéraire Richelieu de la francophonie 2013, le prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises 2011 et le prix littéraire de l'Asie 2011.
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Dimanche 6 novembre1938, Tokyo. Yu, japonnais, professeur d’anglais et violoniste amateur, joue un quatuor à cordes avec 3 amis chinois accompagné de son fils Rei qu’il élève seul suite au décès de la mère. Au bruit de bottes, Yu cache son fils dans un placard avant l’arrivée de l’armée japonaise. « Tu fréquentes les Chinetoques ! Tu joue de la musique des poilus blancs, des étrangers douteux ! Des pays ennemis ! Tu multiplies les fautes graves !
« Monsieur, La musique traverse des frontières, c’est le patrimoine de l’humanité... » Son père est emmené, soupçonné de comploter contre le Japon avec des chinois communistes. Il ne le reverra jamais, et le violon (un Nicolas François Vuillaume de 1857) est brisé sous les bottes du caporal Tanaka.
Arrive le lieutenant Kurokami qui découvre le gamin dans l’armoire, lui tend ce qui reste du violon de son père et le sauve d’un internement. De cet épisode, le violon et un livre qu’il partageait avec son père ne le quittent jamais.
Rei est adopté par un couple d’amis français de son père, vit à Paris et devient Jacques-Rei. « Tu as maintenant, en plus du beau prénom Rei que ton papa, ton Otoosan t’a donné, le prénom français Jacques… Les deux prénoms se soutiennent, se renforcent mutuellement. Tu sera ainsi deux fois pus fort ! Ici, en France, qui est ton nouveau pays, je remplace ton Otoosan dont je garde un merveilleux souvenir. J’essaierai d’être à la hauteur... »
Il se forme au métier de luthier. Oui, il veut réparer le violon de son père, réparer l’âme, lui rendre son âme qui permet de propager le son, la musique, retrouver l’âme de son père et ne pas perdre la sienne. Sa femme est archetière, un couple complémentaire dans la vie et le travail.
Akira Mizubayashi oppose la violence des soldats à la douceur des musiciens ; l’universalité de la musique, de la littérature, du savoir, des arts à la barbarie, la douceur à la violence
Quel beau symbole que l’âme ; l’âme du violon qui propage un son unique et personnalise chaque instrument. Comme la musique qui, universelle est chaque fois réinventée par les musiciens, les chefs d’orchestre et par la personne qui l’écoute. L’âme du violon et de son père renaissent lorsqu’il donne le violon à une jeune femme chargée de symboles pour Jacques-Rei.
Le retour au Japon, 65 ans après, les retrouvailles avec la nourriture familiale, les souvenirs d’un repas avec son père... Alors, il ose demander à son hôtesse un œuf cru dont il se souvient « Je crois que j’ai mangé un namatamago (œuf cru) ce jour-là. J’ai subitement envie de verser dans ce riz tout chaud un œuf cru battu et mélangé avec de la sauce de soja… On dirait que c’est ce bon riz associé au goût du tsukemono qui m’emporte brusquement vers le sombre territoire de mon enfance révolue. Oui, ce matin-là, j’ai mangé un namatamago pour le petit déjeuner, ce dimanche-là en 1938, le jour où mon père disparut à jamais de mes yeux... »
Les souvenirs sont souvent dans les plats, les odeurs, les bruits.
Au fait, le titre du livre qui a toujours suivi François ? « Dites-moi comment vous allez vivre ». Magistrale démonstration d’une belle vie sous la plume d’Akira Mizubayashi.
Un superbe livre tout en retenues où rien n’est anodin. L’écriture est calme, sereine, simple élégante. A la fin de ma lecture, une photo faite il y a plusieurs années, me revient immédiatement en mémoire, celle d’ un cygne majestueux sur l’eau d’un étang calme dans la lumière dorée d’une fin d’après-midi
Un coup de cœur pour l’humanité qui se dégage de ce roman écrit directement en français.