Estelle-Sarah Bulle - Là où les chiens aboient par la queue
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Là où les chiens aboient par la queue
4ème de couverture :
Dans la famille Ezechiel, c’est Antoine qui mène le jeu. Avec son «nom de savane», choisi pour embrouiller les mauvais esprits, ses croyances baroques et son sens de l’indépendance, elle est la plus indomptable de la fratrie. Ni Lucinde ni Petit-Frère ne sont jamais parvenus à lui tenir tête. Mais sa mémoire est comme une mine d’or. En jaillissent mille souvenirs-pépites que la nièce, une jeune femme née en banlieue parisienne et tiraillée par son identité métisse, recueille avidement. Au fil des conversations, Antoine fait revivre pour elle l’histoire familiale qui épouse celle de la Guadeloupe depuis la fin des années 40: l’enfance au fin fond de la campagne, les splendeurs et les taudis de Pointe-à-Pitre, le commerce en mer des Caraïbes, l’inéluctable exil vers la métropole…
Intensément romanesque, porté par une langue vive où affleure une pointe de créole, Là où les chiens aboient par la queue embrasse le destin de toute une génération d’Antillais pris entre deux mondes.
L’autrice (site de l’éditeur) :
Estelle-Sarah Bulle est née en 1974 à Créteil, d’un père guadeloupéen et d’une mère ayant grandi à la frontière franco-belge. Après des études à Paris et à Lyon, elle travaille pour des cabinets de conseil puis pour différentes institutions culturelles. Elle vit dans le Val-d’Oise. Là où les chiens aboient par la queue est son premier roman.
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Antoine est l’aînée, non je n’ai pas fait de faute, d’une fratrie de trois enfants, Lucinde est la seconde et Petit-Frère, le puîné.
Au fait, pourquoi un prénom masculin ? Et bien, pour chasser le mauvais œil, tout simplement.
Les Ezechiel, les Lebecq vivent à Morne-Galant, dans le trou du cul du monde ce que les guadeloupéens nomment « Là où les chiens aboient par la queue », avouez que c’est beaucoup plus élégant et drôle. « Cé la chyen ka japé pa ké. » Je te le traduis puisque ton père ne t’a jamais parlé créole : « C’est là où les chiens aboient par la queue. »».
Bref, La fille de Petit-frère, née en métropole, veut connaître l’histoire familiale et interroge son père et ses deux tantes. « Pour moi qui suis née dans la grisaille, l’île constitue un monde de sensations secrètes, inaccessible la plupart du temps. Les moments que je passe là-bas sont des parenthèses sensuelles, où tout prend le relief particulier der la fugacité. »
Chacun raconte son enfance, son histoire, sa facette de la vie sur l’île. Antoine qui veut SON magasin de mode, est un personnage fantasque, fidèle à la tradition et qui, pourtant, s’émancipe du mariage. Elle a acquis, par sa perspicacité, une belle position sociale, moderne tout en étant fidèle à une certaine tradition (elle n’a pas de compte en banque). Son commerce commence à décliner lors des évènements terribles et part pour la capitale où elle ouvre une échoppe, du même genre, même fouillis qu’en Guadeloupe, qui périclite rapidement.
Lucinde, sa sœur, se marie et décide de faire de la couture à domicile. Elle s’enorgueillit d’avoir des blanches parmi sa clientèle et paraît vivre très bien de son métier, gagne plus que son mari. Antoine n’aime pas sa relation aux békés, trop complaisante pour elle. Le couple part pour la métropole où les rôles sont inversés, le couple se sépare.
Petit-frère doit sa survie au fait d’avoir devancé l’appel. « A mon tour, j’ai devancé l’appel ; c’était ça ou glisser doucement vers un effondrement intérieur. Les contours de l’île étaient les murs de ma prison ». Ce départ lui a permis de trouver son chemin « J’ai compris qu’à vingt ans, l’armée m’avait sauvée. »
Les évènements de mai 1967 où les jeunes guadeloupéens se rebellent contre les békés, contre l’injustice qui les enferme dans des emplois subalternes, s’ils en trouvent et donc dans une certaine misère se termine dans un bain de sang.
Tout est changé, alors, beaucoup prennent la décision de partir pour la capitale. « Les Antillais sont devenus aussi nombreux en métropole que dans les îles ». Ce déracinement qui même si« Nous, les Antillais, nous avons toujours su nous adapter, pas vrai ? De la case d’esclaves aux HLM, nous savons ce que signifie survivre. » ne va pas sans heurts. En région parisienne, les guadeloupéens découvrent la solitude, le racisme, la grisaille et le froid. La nièce, pourtant née en France l’a connue sous les traits du cafetier de Créteil.
Un livre où la langue fleurie de la Guadeloupe m’a enchantée. L’histoire familiale est empreinte d’humour, d’amour, de désespoir, bref, de tout ce qui fait la vie. Des portraits tout en nuance, irisés comme une goutte d’eau sous le soleil, des personnages hauts en couleur, ambivalents, tout n’est pas noir et blanc, tout n’est pas béké et noirs pour un superbe portrait de la Guadeloupe des années quarante à nos jours.
Un très beau premier roman.