Paola Pigani - Des orties et des hommes
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4ème de couverture :
L’enfance de Pia, c’est courir à perdre haleine dans l’ombre des arbres, écouter gronder la rivière, cueillir l’herbe des fossés. Observer intensément le travail des hommes au rythme des saisons, aider les parents aux champs ou aux vaches pour rembourser l’emprunt du Crédit agricole. Appartenir à une fratrie remuante et deviner dans les mots italiens des adultes que la famille possède des racines ailleurs qu’ici, dans ce petit hameau de Charente où elle est née. Tout un monde à la fois immense et minuscule que Pia va devoir quitter pour les murs gris de l’internat. Et à mesure que défile la décennie 70, son regard s’aiguise et sa propre voix s’impose pour raconter aussi la dureté de ce pays qu’une terrible sécheresse met à genoux, où les fermes se dépeuplent, où la colère et la mort sont en embuscade. Une terre que l’on ne quitte jamais tout à fait.
Paola Pigani déploie dans ce roman, sans aucun doute le plus personnel, une puissance d’évocation exceptionnelle pour rendre un magnifique hommage au monde paysan et aux territoires de l’enfance.
L’autrice :
Paola Pigani naît en 1963 dans une famille d’immigrés italiens installés en Charente. Éducatrice, elle vit depuis de nombreuses années à Lyon. Auteur de plusieurs recueils de poésie, elle publie en 2013 aux éditions Liana Levi un premier roman très remarqué, N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures. En 2015 paraît Venus d’ailleurs et en mars 2019, Des orties et des hommes.
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Chronique d’une vie rurale
La Charente, ce n’est pas seulement le bord de l’Atlantique, c’est également une campagne où habite Pia 10 ans, de longues tresses. Ses grands-parents sont venus d’Italie via la Belgique cultiver une terre qu’ils espéraient meilleure. Ses parents sont fermiers. La famille ne roule pas sur l’or, c’est le moins que l’on puisse dire. Le père élève des vaches laitières , vend son lait à une laiterie et à quelques particuliers. La mère fait du beurre. Nous sommes dans les années 70, les grosses et grandes fermes grignotent petit à petit les petits fermiers.
« Entre ceux qui vivent de rien et ceux qui vivent de peu, il n’y a pas beaucoup d’envieux par chez nous. »
Cinq enfants tous remuants égaient les journées. Même si la vie n’est pas très facile, la famille est heureuse.
« A la maison, la polenta est prête. Maman a préparé un gâteau. Elle roule l’amour des siens dans la farine. Le chagrin de nous avoir loin d’elle pendant des jours, elle le pétrit et l’aplati comme elle peut. C’est dans ces odeurs de pâte chaude qu’on s’embrasse’. »
Les filles barattent le beurre au rythme des chansons de l’époque. Tout le monde aide à la ferme au retour de l’école. Attention, il faut faire les devoirs, bien apprendre pour aller au collège privé, derrières des murs gris, encadré par des bonnes sœurs pas rigolotes. Valma, sa sœur aînée n’a pas supporté et à fugué. Pila s’est fait un grand allié de Rimbaud ; ses poésies lui permettent de supporter l’enfermement tout comme un certain garçon jouant de l’harmonica. Heureusement les vacances existent et les revoici à sauter sur les balles de paille, grimper dans le clocher de l’église « A part Dieu et le spécialiste des cloches… nous sommes les seuls à grimper jusqu’ici… C’est vieux comme le monde. On marche à pas de loup sur l’éternité. » et autres fantaisies.
Quel plaisir pour Pia d’aller seule sur les chemins, marcher dans la forêt, écouter, regarder, patauger, parler avec Joël, le bossu, que beaucoup fuient et moquent.
« C’est un garçon-paysage avec une colline sur le dos… Moi je suis sûre que c’est la bonté qui dépasse de sa colonne vertébrale, un mystère de roche humaine. » Quelle belle description de Joël le bossu.
Elle vit au rythme des travaux imposés par les saisons, rentrer le bois en hiver, faire les foins, les récoltes. Tout ceci sans oublier la sacralité de la messe dominicale, les visites à Nanno, la grand-mère adorée.
« Il faudra aussi mettre de l’ordre dans mon cahier d’essai, ne pas mélanger tache d’encre et tâche d’être là quand on te parle, blouse et bouse. Mettre de l’ordre entre les absents et les présents ceux de toujours et les nouveaux. »
Pas facile cette dualité lorsque l’on étudie en établissements privés surtout fréquentés par la bourgeoisie locale.
Et puis, il y a la création d’un nouveau syndicat agricole, face à la FNSEA, qui deviendra la Confédération Paysanne. Les conseillers techniques proposent leur aide à grand renfort de produits dits « phytosanitaires », le Crédit Agricole prête, le prix du lait s‘effondre, certains paysans sont obligés de mettre la clé sous la porte de la grange… C’est l‘époque du Larzac. Enfin Pia ne se sent plus venue d’un arrière-monde, grâce au commentaire désobligeant d’un camarade classe de la bourgeoisie
Le monde rural change, les maisons se vident, les vieux meurent seuls. Pia observe ces changement avec beaucoup de mélancolie. C’est ce que je constate tous les jours autour de moi.
Un livre qui m’a enchantée. J’y retrouve un tout petit peu des traces de mon enfance ou celle de mes propres enfants. La nostalgie y est heureuse, la vie, même si les habits se passent entre sœurs, même si la sécheresse de 76 a causé beaucoup de dégâts, se déroule dans une certaine harmonie.
Je sens les souvenirs d’enfance de Paola Pigani sous les traits de Pia. J’ai aimé suivre sa trajectoire jusqu’au lycée, la voir grandir, garder sa liberté.
Un livre enchanteur, une belle écriture fine, sensuelle ; une ode à la nature avec les quelques fêlures de la vie. Les chapitres, comme des scènes de la vie quotidienne, s'égrènent , se lisent avec grand plaisir Je me suis laissée happer, prendre au jeu des deux nattes blondes de Pia.
Livre découvert grâce à Wilfrid Librairie le Cyprès
Coup de cœur