Laurine Roux - Une immense sensation de calme
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Une immense sensation de calme
Laurine Roux
128 pages
Mars 2018
ISBN : 9782373850765
4ème de couverture :
Alors qu’elle vient d’enterrer sa grand-mère, une jeune fille rencontre Igor. Cet être sauvage et magnétique, presque animal, livre du poisson séché à de vieilles femmes isolées dans la montagne, ultimes témoins d’une guerre qui, cinquante ans plus tôt, ne laissa aucun homme debout, hormis les « Invisibles », parias d’un monde que traversent les plus curieuses légendes.
Au plus noir du conte, Laurine Roux dit dans ce premier roman le sublime d’une nature souveraine et le merveilleux d’une vie qu’illumine le côtoiement permanent de la mort et de l’amour.
L’auteure (site de l’éditeur) :
Née en 1978, Laurine Roux vit dans les Hautes-Alpes où elle est professeur de lettres modernes.
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« A présent, il faut que je raconte comment Igor est entré dans ma vie. C’était la fin de la saison froide, j’avais passé l’hiver dans la maison des frères Illiakov. » Une phrase qui amène une suite réelle, réaliste, idéalisée ou rêvée.
Baba, sa grand-mère « a rejoint le Grand-Sommeil ». Pour payer l’enterrement, elle cède au Comité la cabane et prend la route « Voir jusqu’où la route irait. ». Elle ira jusqu’à la cabane des frères Illiakov. Ils l’ont sauvée d’une mort certaine alors que son « corps avait déjà la raideur d’une planche de bois ». A leur contact et celui d’Olga, la femme de l’un d’eux, elle apprend les rudiments de la vie hors les villes. Elle y restera jusqu’à ce qu’Igor « Igor n’est pas un homme. Il répond à des instincts…. C’est un animal. » vienne payer le poisson séché qu’il a vendu pour eux. Elle est de suite magnétisée par cet homme rencontré près du lac « Mon désir tisse un fil vers lui et bourdonne tout autour de moi. Lui continue simplement de faire ce qu’il a à faire. ». Elle part avec lui, le suit jusqu’au bout.
Au fur et à mesure de ma lecture, j’apprends qu’il y a un avant et un après une guerre où beaucoup périr, les hommes ont été tués. Les terres sont laissées à l’abandon, certains vivent dans la montagne. Baba a raconté à sa petite-fille le grand secret des invisibles, victimes de cette guerre atroce ou créatures de contes ?
Dans cet univers quelque peu inquiétant où le temps ne se conjuguent pas au futur, ni au passé, les deux amoureux vivent pleinement et simplement leur vie au quotidien.
Un livre dur et tendre, sauvage et doux, oxymores, comme cette phrase « Le regard d’Igor abolit mon être. Il m’absorbe et arase toute autre réaction qu’un immense afflux de sang… et c’est à la fois de la peur et de la glace, du miel et de la lavande. ». Un livre où il fait bon se couler, se laisser prendre dans la neige et la glace, puis réchauffer par le feu. La nature sauvage et hostile a la part belle, les humains sont humains, chaleureux.
Une histoire, un conte tragique empli de beauté, captivant et qui procure comme une immense sensation de calme. Comme une impression d’immersion dans un monde inconnu, tragique et pourtant si beau. L’hiver est son cortège, très présent semble enserrer la nature, les humains et les bêtes dans son étau de gel. Pourtant, la lumière y est belle, la longue nuit est éclairée par la cheminée et les bouffardes qui laissent échapper la fumée de l’oubli.
La mort côtoie la vie avec une puissance multipliée par l’environnement hostile et c’est pourtant un livre d’une très grande douceur et sensualité.
« Chaque soir, la même histoire se répétait : le Soleil allumait ici ou là quelques brandons de colère, furieux de devoir quitter le monde, mais déjà la nuit mollissait l’incendie de ses vapeurs mauves, lénifiait sa violence pour laisser place au coassement gris du crapaud. » C’est nettement plus beau que d’écrire le soir tombe, la nuit arrive !
J’ai caressé ses traits figés sur sa peau froide. Il me semblait que je devais le faire. Une caresse pour une vie. Mes doigts parcouraient son visage et je pouvais sentir tout ce qu’elle avait été. Avec ma main, je lui disais je prends. Elle me donnait sa droiture et sa fatigue, je lui disais je prends. Son passé et ses blessures, je lui disais je prends. Elle me donnait sa beauté et les rares joies arrachées à la vie. Je prenais. Son courage et sa vertu. Je prenais tout. C’était tout ce qui me restait. Longtemps ce serait mes seuls bagages. »
Ce fut son dernier adieu à sa Baba avant que les hommes l’ensevelissent.
"En relevant la tête, le spectacle de la forêt tout autour me saisit. Tout me revient. L'immensité du ciel. La traînée laiteuse d'un nuage juvénile. La fulgurance des trouées de lumière à travers les frondaisons. Un bourdon volette au-dessus de ma tête, plein d'une grâce pataude. Tout entre dans mes poumons. Je lampe l'air à grandes goulées, et ma langue reconnaît dans ce baiser un goût de terre et de ciel. Vert et bleu. Les couleurs des baisers d'Igor."
Un coup de cœur pour cette lecture que j’ai ralentie pour mieux en savourer chaque mot, chaque phrase, comme celle ci-dessus. Laurine Roux, vous m’avez envoûtée le temps de ma lecture et écrire, difficilement, cette chronique contribue à les laisser vivre en moi.
Monsieur Marc Villemain, vous avez le don pour nous faire découvrir de très beaux premiers romans.