Patrick Da Silva - et filii
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et filii
Patrick Da Silva
Editions Le Tripode
296 pages
Février 2018
ISBN : 9782370551498
4ème de couverture :
Dans un coin négligé de France, la vie suit un cours tragique. L’usine du pays, qui a fermé ses portes, nourrit les rancœurs. Un homme, obsédé par sa révolte, s’est suicidé. Un couple de Hollandais est retrouvé dans une cave sordidement assassiné. L’institutrice est en prison. Un artiste, aveugle, sculpte le visage des morts pour imprimer « une cicatrice fugace des coups de vent, de soleil, de tonnerre, de neige qu’ils ont été »… C’est dans ce monde en naufrage qu’un jeune séminariste se décide à recueillir les paroles de chacun pour suivre sa propre quête.
« On les a condamnés à cette mort-là et bannis dans leur propre pays qui est devenu un cimetière de macchabées ambulants. On les a radiés de la condition commune qui veut que l’on gagne par son travail sa fierté et son pain. On les a condamnés, on a exécuté la sentence mais on les méprise au point de ne pas le leur dire en face. On les afflige de bienveillance et on leur joue la comédie, on les convie à la table des négociations. Ils vont y discuter la généreuse aumône qui les fera consentir au néant où l’on a relégué leurs pénates. »
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Fin du premier chapitre : « Madame Amara Leïla, entendue chez elle ce mercredi cinq septembre. » Me voici donc avec un polar entre les mains. Leïla fait le ménage chez le couple de hollandais, c’est d’ailleurs elle qui les a trouvés, morts, dans leur cave.
Dans le second chapitre, je suis, avec grand plaisir, un pêcheur sachant pêcher, parti dès quatre heures et demie au bord du lac « respiré à pleins poumons la litière d’odeurs sourdes que charrie la rivière à cette heure. Le soleil en les sublimant va bientôt les faire disparaître. ». Le narrateur, dans ces chapitres raconte sa vie quotidienne avec beaucoup de poésie, comme une parenthèse, une respiration nécessaire entre deux confessions.
Au début du troisième chapitre, j’ai droit à l’épitre du jour, lettre de Paul à Philémon du Dimanche neuf septembre, vingt-troisième dimanche ordinaire.
Tous les chapitres concernant les intervenants se déroulent selon ce rythme et ce rite.
Patrick Da Silva est conteur et cela se sent dans ce livre de paroles, de témoignages collectés.
Petit à petit, je comprends mon erreur du début. Ce n’est pas un inspecteur de police qui collecte les informations, mais un homme d’église qui recueille les confidences.
A travers tous ces récits se dessine la vie dans cette petite ville qui voit se fermer la dernière usine qui apporte du travail aux habitants. Les ouvriers auraient pu fonder une SCOP, mais bon, va savoir si derrière tout cela, on n’allait pas les emberlificoter. Alors, ils ont dit non et le village se meurt, tombe en déshérence. Ils ont perdu leur fierté de travailleur, On leur a ôté leur fierté de travailleur. De plus, un double crime a été commis et un homme s’est suicidé
Les crimes, le suicide ne sont qu’un, si je puis m’exprimer ainsi, medium pour que les habitants parlent d’eux, se confient, un reste d’éducation religieuse peut-être où l’on confesse à l’homme d’église ses pêchés, ses craintes et ses doutes.
La force de ce livre est que chacun des personnages a son propre vocabulaire, sa propre musique des mots, émaillés ici et là de patois. Il y a de la truculence, de la fureur, de la passion, de la vie, même si elle n’est pas toujours drôle. Les tournures anciennes et locales donnent au récit une odeur de conte. Histoires collectées, histoires des fils d’une patrie rurale en danger d’extinction. Chacun raconte son rapport, son avis sur le double meurtre ou le suicide d’Elie. « Elie avait fixé sur lui tout le pus qui couvait et maintenant il l’avait emporté dans la tombe. »
Ces confessions ressemblent à ce que les administrés racontent à leur maire et les paroissiens à leur curé, une très grande proximité et confiance. « Je prête l’oreille à tout le monde ? C’est vrai ce qui se dit ? A tout le monde ! Et il se dit aussi à chacun de la même manière et que la nuit, ce que la bouche de chacun a laissé tomber dans cette oreille que je lui ai prêtée, de mémoire et en dépit des devoirs de ma charge, je l’inscris sur un cahier. Alors, Jocelyne Escotier veut en bénéficier elle aussi et, si tant est que ces ragots soient vrais, en bénéficier de la même manière que chacun ».
La dernière partie est plus spirituelle par l’entremise d’un vieil aveugle, Saul, qui ravaude les filets de pêche et qui recueille, à l’instar du narrateur, les confidences. Tout comme Désiré, aveugle lui aussi, qui vit au village. Saul, Désiré, un même prénom, deux langues, le latin, le français. Rapports avec le confesseur ?
Roman social, spirituel où le je se rapporte à chacun des personnages se racontant. Pout lui, le narrateur, l’omet souvent « L’ai laissée hier ainsi, le livre refermé, ai glissé sur le gargouillis »
Style très imagé « il a embringué à sa rescousse la compagnie des accoudés ». « Je ne me rends pas compte mais ça en coupe la chique à plus d’un la manière que j’ai de lancer d’un coup de manivelle la machine à piailler et de la laisser tourner jusqu’au bout, des fois sans même avoir à remettre une pièce dans le bastringue »
J’apprécie beaucoup le style de Patrick Da Silva, même si cet ouvrage se livre moins immédiatement que Les pas d’Odette ou Au Cirque, mais quelle écriture. Je retrouve les monologues ciselés, les confessions, le vocabulaire, l’écoute des « besogneux », la poésie, les belles phrases.
Patrick Da Silva, je vous imagine écoutant ces gens, toute leur vie ordinaire racontée. C’est ce qui me touche le plus chez vous, votre écoute, la simplicité du langage, sa verdeur et… L’amour que vous portez à autrui. Votre litre est empli d’une spiritualité quotidienne qui n’a rien de doctrinaire, mais d’une grande simplicité comme la vie de ces gens.
et filii laisse son empreinte, c’est la marque des grands livres.
Je ne suis pas certaine d’en avoir bien parlé, mais j’ai aimé le lire.
On les a condamnés à cette mort-là et bannis dans leur propre pays qui est devenu un cimetière de macchabées ambulants. On les a radiés de la condition commune qui veut que l'on gagne par son travail sa fierté et son pain. On les a condamnés, on a exécuté la sentence mais on les méprise au point de ne pas le leur dire en face. On les afflige de bienveillance et on leur joue la comédie, on les convie à la table des négociations. Ils vont y discuter la généreuse aumône qui les fera consentir au néant où l'on a relégué leurs pénates.