Zusman Segalowicz - Une Révolution au jour le jour

 

 

 

Une révolution au jour le jour

 Zusman Segalowicz

Traduit du yiddish par N. Weinstock

Editions Interférences

2016

ISBN 978-2-909589-35-0

 

4ème de couverture :

Polonais enrôlé dans l'armée tsariste en tant que sujet de l'empire russe, Zusman Segalowicz assiste dès 1916 à la débandade des troupes russes, puis aux journées grisantes et sanglantes de la révolution de février et du coup d'État d'octobre. Ballotté de Petrograd à Moscou, de Kiev à la Crimée, et dans des shtetls le long de la frontière indécise entre Russie et Pologne, il décrit les bouleversements auxquels il assiste sans préjugés ni parti pris, s'intéressant avant tout aux détails humains et aux faits bruts.

 

Mais c'est avant tout au regard d'un poète que nous avons à faire ici, un poète sensible autant au tragique des souffrances humaines qu'à la cocasserie de certaines situations.

 

L’auteur  :

Zusman Segalowicz, poète, écrivain et journaliste essayiste, est  né à Bialystok en 1884 et mort à New-York en 1949. Engagé dans l'armée russe en 1916, il y sert durant un an.

 

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Automne 1915, le monde est plongé dans la guerre. « Des millions d’enfants obéissants venus des villes et des campagnes se jettent leur uns sur les autres dans des batailles, munis d’effroyables armes mortelles. Une folie universelle extraordinaire s’est concrétisée dans le sang, la mort er le feu »

Printemps 1917

« Durant le mois de mai qui a suivi la révolution russe de février, la liberté était déjà devenue pour nous une chose tout à fait banale. » Pourtant, la guerre fait rage et les soldats ne veulent plus faire la guerre. ‘La liberté, c’est la liberté ! Nous ne voulons plus pourrir dans les tranchées ». « C’est ainsi que nos soldats sont restés allongés sur l’herbe pendant des semaines entières, à moitié nus, à moitié sauvages, et aussi passifs que des moutons repus. »

 

Le narrateur se promène dans les rues, parmi les moscovites qui manifestaient leur joie. « Je m’étais rué hors de chez moi en qualité de simple spectateur, ce que je suis d’ailleurs demeuré jusqu’à la fin ».La révolution est joyeuse. « Au-dessus des fenêtres, des portes et des immeubles, partout, on voyait flotter des drapeaux rouges. »

C’est la liesse, la joie, les gens parlent dans les rues, débattent, rient. « Les jeunes comme les vieux. Les seigneurs comme les paysans. Les citoyens comme les soldats. Tous débitaient leurs grandes et leurs petites vérités, les exposant à tout le monde et à chacun en particulier. On s’exprimait alors à voix haute. Avec ferveur, avec foi. ». Sous la statue de Pouchkine, se formaient des attroupements, ça discutait, pérorait, mais Pouchkine lui-même se taisait « Pouchkine, le génie russe, se taisait. Comme s’il pressentait le terrible bouleversement qui devait fatalement survenir. » Oui les moscovites ont manifesté « Au départ, avec enthousiasme et avec joie. Ensuite, avec irritation et avec colère. Et pour finir, dans le sang et avec sauvagerie. »

Zusman Segalowicz raconte les faits, me fait vivre cette atmosphère joyeuse, cet espoir d’une vie meilleure, d’un équilibre entre les riches et les pauvres.

Pourtant, la violence prend le pas, vient le temps des lynchages. « Dormez en paix ! Les bolcheviks sont simplement occupés à chasser les anarchistes des hôtels particuliers qu’ils avaient réquisitionnés pour leur propre compte ». Les bolcheviks ne vont quand même pas réquisitionnés de basses masures !

L’auteur parcourt une partie de la Russie, Ukraine, Crimée, Biélorussie et partout le même spectacle. Ainsi en Ukraine, terre fertile « Que de sang n’a-t-elle pas absorbé à  présent ? Et dans quel but ? Comme si nous manquions de coquelicots rouges ! »

L’auteur est désespéré de toutes ces morts, tous ces crimes « Dès lors que l’homme se comporte en assassin au moment même où il parvient à réaliser son idéal et qu’il s’en réjouit, comme se comportera-t-il dans le feu du combat ou s’il est pris de fureur ? »

J’ai aimé ce petit livre que j’ai découvert sur le site de Goran. Zusman Segalowicz parle de ces épisodes avec un certain détachement. Ni pour, ni contre, même s’il donne son sentiment sur les crimes au nom de la liberté. Un livre de grande qualité, empreint de poésie ; superbe écriture qui fait passer les exactions d’une Révolution commencée dans la joie et se terminant par la mort. Vu la qualité des mots, je dis bravo à la traductrice N. Weinstock. Tout comme à l'éditeur pour la qualité de l'objet livre.

« J’ai l’âme recouverte d’une chape de plomb, ce qui est bien pire que si j’avais les bras et les jambes enchaînés comme un forçat. C’est l’instinct de vie lui-même qui s’étiole ;

Il faudrait que resplendissent un millier de soleils à la fois pour que nos yeux puissent retrouver la joie, pour que notre âme soit soulagée de la pesante mélancolie qui l’accable.

Et le ciel est tellement lourd. »

Coup de cœur

Ce livre entre dans le mois de l'Europe de l'Est

 

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B
C'est important de mentionner comme tu le fais la traductrice, trop souvent oubliée
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Z
Je les cite toujours en entête. Sans eux, nous ne lirions pas de superbes livres étrangers
G
J'avais moi aussi beaucoup aimé ce livre… il me semble en avoir aussi parlé sur mon blog… et merci pour ta participation à ce mois de mars.
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Z
C'est d'ailleurs après avoir lu ta chronique que je l'ai acheté
A
Le livre a l'air magnifique, et le texte aussi.
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Z
Oui
M
Un simple spectateur ? J’emploierai plutôt le mot de témoin qui voit aussi avec son âme.
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Z
C'est une phrase de l'auteur, je n'aurais pas voulu en changer un mot. C'est le début de la Révolution, les gens sont heureux, se parlent. Les promeneurs sont à la fois acteurs et spectateurs. Ils regardent, en cet instant, le bonheur des autres, la liberté. Après cela dégénère.
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