Entretien avec Sébastien Fritsch
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J’ai lu presque tous les livres de Sébastien Fritsch et j’aime sa façon de harponner la lectrice que je suis. Plus que des romans policiers, ce sont des romans à énigmes, à tiroirs. Comme les poupées gigognes, vous ouvrez la première une seconde apparait et ainsi de suite jusqu’à la fin, au dénouement qui ne donne pas forcément la clé, ou pas celle que vous pensiez trouver.
Je lui ai posé quelques questions auxquelles il a bien voulu répondre.
J’allais oublier, le prix de ses livres tourne autour de sept euros, alors, pourquoi ne pas aller le commander chez votre libraire ou directement sur le site de l’éditeur Fin Mars Début Avril ou sur FB et vous faire votre propre opinion ?
Merci Sébastien Fritsch d'avoir répondu à mes questions
Questions à l’éditeur
Le nom que vous avez donné à votre maison d’éditions est aussi énigmatique que clair, tiens, comme vos romans !
Je suppose que c’est la date de création de celle-ci ?
Eh non ! Ma première publication est sortie… à l’automne. En fait, quand j’ai voulu me lancer dans l’autoédition et créer une structure pour cela, je souhaitais lui donner un nom qui ait un lien avec moi sans que ce soit trop direct ou trop personnel. Ma première idée était de prendre ma date de naissance. Mais ça ne sonnait pas si bien que ça. J’ai quand même gardé le principe et, comme je suis né fin mars, j’ai retenu ces deux mots-là… ce qui ne sonnait pas vraiment mieux. Alors, j’ai ajouté « début avril ». Finalement, ça ne correspondait plus à mon mois de naissance, mais ça n’était pas plus mal : Fin mars début avril, si l’on y réfléchit, c’est la période du printemps, la période où tout recommence, où tout est possible, où tout reste à découvrir. Exactement ce qui se passe lorsqu’on se plonge dans un nouveau roman.
Pourquoi avoir choisi de vous auto éditer et de n’éditer que vos livres ?
L’idée m’est venue à l’été
En ce qui concerne l’absence d’autres auteurs dans mon « catalogue », elle s’explique par le fait que je ne dispose déjà pas de suffisamment de temps pour assurer la promotion de mes propres romans ; m’occuper de ceux d’un ou de plusieurs autres écrivains serait totalement impossible. Par ailleurs, avec les ventes que je réalise, je parviens tout juste à rentrer dans mes frais : correction et relecture par une correctrice professionnelle, impression chez un imprimeur local (qui fait un travail de qualité), frais d’expédition, frais de déplacement… tout cela représente un coût important et me permet de ne dégager aucun bénéfice. Je serais donc totalement incapable de payer des droits d’auteurs à un autre écrivain. Je préfère être honnête et refuser de publier les travaux des personnes qui me contactent pour cela.
N’est-ce pas trop difficile, lorsque vous avez la casquette ou le chapeau de l’éditeur de dire du bien de l’auteur ?
Pas vraiment… puisque je ne dis jamais de bien de l’auteur – ni de mal, d’ailleurs : je ne parle que de ses romans.
Questions à l’auteur
Ce que j’en retiens c’est votre façon de nous harponner, d’ouvrir des portes que vous fermez derrière le lecteur, pour l’obliger à aller de l’avant ou sur le côté, selon votre désir. En êtes-vous conscient ?
Conscient, bien sûr, puisque c’est volontaire. J’aime agencer mes intrigues selon une succession d’interrogations – et pas uniquement pour les romans policiers. Ensuite, je fournis des bouts de réponses… suivis de nouvelles questions. Je reconnais que j’aime manipuler les lecteurs… mais beaucoup de lecteurs aiment être manipulés par un roman.
Vos « héros » semblent être des solitaires, des « hors la vie courante » pourquoi ?
Très franchement, je n’avais pas réalisé cela – sauf pour quelques-uns, pour lesquels c’était évident, parce que je les avais conçus ainsi. S’ils sont « solitaires » et un peu à part, c’est très certainement que je le suis moi-même. Pourtant, aucun de mes personnages n’est un autoportrait… même s’ils ont tous quelques petits fragments de ma personnalité.
Comment leur donnez-vous la vie ? Est-ce délibéré ou la plume qui gagne la partie, à savoir que les mots vous entraînent là où vous ne pensiez peut-être pas aller ?
Les bases de mes romans sont totalement délibérées, que ce soient pour l’intrigue, le décor, les idées et les personnages. Néanmoins, il m’arrive parfois de réaliser à la fin de l’écriture – ou même par l’intermédiaire d’un lecteur qui m’en parle ensuite – que l’on peut donner à mes romans d’autres interprétations. C’est sans doute en cela que la plume « gagne la partie ». Quels que soient les schémas que l’on définit avant de commencer à écrire, notre inconscient à toujours la possibilité de souffler sur la pointe de la plume pour la faire dévier des plans initiaux… ou leur donner une teinte à laquelle on n’avait pas songé.
Comment recrutez-vous vos personnages. Est-ce qu’ils s’imposent à vous ?
Comme dit précédemment, beaucoup de mes personnages ont une petite parcelle de ma personnalité. Mais je les « construis » surtout en me basant sur des personnes que j’ai pu connaitre, pour leur donner plus d’humanité, ou bien sur des « profils » qui correspondent aux rôles que je veux leur faire jouer. Toute la difficulté est de trouver les nuances, puis de trouver les mots pour donner corps à ces nuances, afin d’éviter les stéréotypes ou les traits trop appuyés.
Vous travaillez beaucoup la psychologie de vos personnages et chaque livre parait avoir un thème : l’écriture pour Le Sixième Crime, l’amitié pour Albédo…. Est-ce voulu ?
Oui. Un roman, ce n’est pas qu’une histoire. C’est aussi un moyen de soulever des questions. En présentant des personnages dans tous les détails de leur psychologie, en leurs donnant des idées à exprimer (idées parfois contradictoires, comme dans « Le Sixième Crime »), j’alimente ces débats internes qui peuvent naître chez les lecteurs.
Avant de commencer à écrire, avez-vous un canevas bien tissé dans votre tête ?
Oui. Je commence l’écriture d’un roman uniquement si je sais qu’il pourra aboutir. Il me faut donc la fin avant d’attaquer le début. Cela s’explique par le fait que mon temps d’écriture est limité : j’évite donc de me lancer dans un projet que je risque d’abandonner parce qu’il ne mène nulle part. Cela étant, comme l’écriture d’un roman me prend plusieurs mois, des idées nouvelles peuvent surgir ; je les intègre si je considère qu’elles ont un intérêt… ou je les mets en sommeil et elles finiront bien par ressortir dans un autre livre.
Pourquoi être passé du roman « Se retenir aux brindilles » aux romans à énigmes ?
En réalité, tous mes romans sont des romans à énigmes. Que cherche la narratrice de « Se retenir aux brindilles » ? Qui est le personnage qui donne son nom au roman « Invitation pour la petite fille qui parle au vent » ? Quelle métaphore se cache derrière le titre « Albédo » ?
Bien sûr, je joue sans doute un peu sur les mots, en répondant ainsi… mais c’est parce que j’aime aussi me jouer des frontières entre les genres. Quoi qu’il en soit, installer des énigmes, poser des questions aux lecteurs, est un élément clés de la totalité de mes romans.
Quel est le segment le plus porteur pour vendre vos livres ? FB, librairies .... ?
Cela dépend des romans : quand un titre est défendu par quelques libraires qui l’ont aimé, il décolle de façon incroyable ; mais un même libraire peut moins accrocher sur le roman suivant… et il faut alors s’appuyer sur d’autres réseaux. Cela étant, globalement, les ventes en librairie et les salons du livres sont ce qui me permet de vendre le plus… jusqu’à maintenant. Pour mon dernier roman paru, le bouche à oreille sur les réseaux sociaux semble plus efficace. Peut-être parce que, l’expérience aidant, j’ai appris à mieux utiliser ces canaux de promotion… et aussi parce que je bénéficie désormais de l’appui de quelques lectrices et lecteurs fidèles qui savent, eux aussi, tirer parti efficacement de ces réseaux.
Est-ce que les blogues de lecture sont une bonne promo pour vos livres ?
Oui. Il y a tellement de romans qui sortent et les avis que l’on peut lire dans la presse ne sont pas toujours très objectifs. Au contraire, avec les blogs, on peut repérer des lecteurs qui ont les mêmes goûts que nous et donc avoir envie de découvrir un auteur inconnu qu’ils vont recommander. En plus, obtenir une chronique de la part d’un blogueur reste accessible pour un auteur peu connu. La même chose dans une revue littéraire ou un quotidien important est totalement utopique.
Etes-vous auteur-éditeur à temps complet ou avez-vous gardé votre métier de prof ?
Je garde mon autre métier (qui n’a pas toujours été prof), pour deux raisons : je ne suis pas en mesure de vivre de ma plume, comme on dit si joliment ; mais j’apprécie aussi de vivre « dans le monde » ; cela m’enrichit. Sur quoi peut bien écrire un écrivain qui ne rencontre jamais personne ?
Bibliographie des livres lus
- Le sixième crime
- Albedo
- Se retenir aux brindilles
- Derrière toute chose exquises
- L'expérience Cendrillon