Camille Laurens - La petite danseuse de quatorze ans

La petite danseuse de quatorze ans

Camille Laurens

Editions Stock

Collection :  La Bleue

Août 2017

176 pages

ISBN : 9782234069282

 

4ème de couverture :

« Elle est célèbre dans le monde entier mais combien  connaissent son nom ? On peut admirer sa silhouette  à Washington, Paris, Londres, New York, Dresde ou

Copenhague, mais où est sa tombe ? On ne sait que son  âge, quatorze ans, et le travail qu’elle faisait, car c’était déjà  un travail, à cet âge où nos enfants vont à l’école. Dans les  années 1880, elle dansait comme petit rat à l’Opéra de Paris,

et ce qui fait souvent rêver nos petites filles n’était pas un  rêve pour elle, pas l’âge heureux de notre jeunesse. Elle a  été renvoyée après quelques années de labeur, le directeur  en a eu assez de ses absences à répétition. C’est qu’elle avait  un autre métier, et même deux, parce que les quelques sous  gagnés à l’Opéra ne suffisaient pas à la nourrir, elle ni sa  famille. Elle était modèle, elle posait pour des peintres ou  des sculpteurs. Parmi eux il y avait Edgar Degas. »

Camille Laurens

 

L’auteure (site de l’éditeur) :

Romancière, essayiste, Camille Laurens a publié une vingtaine d’ouvrages, parmi lesquels Dans ces bras-là (prix Femina 2000) et Celle que vous croyez (Gallimard, 2016). Elle est traduite dans plus de trente pays.

 

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Je ne connais du monde de la danse et des petits rats, qu’un feuilleton passé à la télévision il y a fort longtemps. Un monde de rêve, même s‘il fallait bosser dur.

Ce que présente  ce livre est tout-à-fait différent. «Ce qui fait souvent rêver nos petites filles n’était pas un rêve pour elle.»

« Elle s’appelait Marie Geneviève Van Goethem. Ses parents étaient belges. Comme tant d’autres de leurs compatriotes…, ils avaient émigré pour fuir la misère et s’étaient installés au pied de Montmartre, dans l’un des quartiers les plus pauvres de la capitale. » Comme sa sœur aînée, elle est petit rat à l’Opéra Garnier. Non, ce n’est pas une sinécure, les gosses sont mal nourries, travaillent de longues heures, les supérieurs sont durs. Les mères, très présentes, proposent leurs filles aux bourgeois de Paris, elles se font maquerelles pour gagner quelques sous, que la petite soit établie, qu’elle ait son logement grâce aux largesses du monsieur bien sous tout rapport ! D’ici vient l’expression « s’offrir une danseuse ». Le bourgeois choisit une danseuse et l’entretient, lui offre un logement, en fait sa maîtresse officielle, l’exhibe pendant que bobonne, pardon, Madame, reste à la maison ! Les petits rats étaient des proies très faciles pour l’avidité de ces messieurs.

 

Revenons à la statue qui a coûté sa place à Marie qui était souvent en retard ou absente parce qu’elle posait. Le régime était strict et les amendes pleuvaient sur les danseuses pour un retard, un oubli… Les gamines devaient trouver un autre emploi et poser pour des peintres ou des sculpteurs étaient le moindre mal, même si elles finissaient souvent dans leurs lits. Ce ne fut pas le cas de Degas à qui on ne prête aucune aventure féminine ou masculine. Il ne vivait que pour son art. Peintre d’abord, il se met à la sculpture lorsque sa vue baisse au point qu’il ne puisse plus peindre.

Ah, que cette petite statue a fait couler d’encre lors de son exposition au salon des Indépendants. Imaginez, une statue de cire habillée de vrais vêtements, dans une cage de verre pour la protéger. Jour honni, où la petite danseuse est méprisée par le public. Si « Nina de Villard compagne du poète Charles Cros, qui écrira au sortir de l’exposition : « J’ai éprouvé devant cette statuette une des plus violentes impressions artistiques de ma vie : depuis bien longtemps, je rêvais de cela »,  Huysmans dit « sa face maladie et vise, tirée et vieille avant l’âge », d’autres « une bestiale effronterie ».

Ce n'est pas de l'art! S’exclament les uns. C'est un monstre, disent les autres. Un avorton! Un singe! Elle serait mieux au musée de la zoologie, ironise une comtesse. Elle est l'air vicieux d'une criminelle, renchérit une autre. «Quel laideron, celle-là! Lance un jeune gandin. J'espère bien qu'elle est la fée du rat à l'Opéra plutôt que la chatte au bordel ! »Un journaliste s'interroge: existe-t-il« réellement un modèle aussi horrible, aussi repoussant? »Une essayiste la décrit pour la revue anglaise «Artist » comme « moitié idiote », « avec sa tête et son expression aztèques ». «L'art peut-il tomber plus bas? »Demande-t-elle. Tant de vice! Tant de laideur! L'œuvre et le modèle se confondent en une même réprobation, s'attirant une hostilité, une haine dont la virulence étonne aujourd'hui. «Cette fillette à peine pubère, fleurette de ruisseau » vient d’entrer dans l’histoire des révolutions artistiques. »

Pourquoi cet acharnement ? Camille Laurens en parle plus loin dans son livre. Degas adhère aux thèses  de Lavater qui établissent un lien entre l’apparence physique et les aptitudes morales et intellectuelles de l’être humain. Ainsi, la petite danseuse a l’air «comme tous ceux des bas-fonds de la société, bien évidemment.

Degas aurait modifié les traits de Marie Geneviève Van Goethem pour l’enlaidir et correspondre à ces critères en cours au XIXe siècle.

Pourtant la statue  garde son mystère. « La statuette demeure aux confins de toutes les réponses, comme le modèle reste en équilibre entre l’enfant et la femme, l’innocence et la lubricité, à la fois proche et insaisissable. » Si elle n’a pas perdu de son mystère, son intérieur fut dévoilé par radiographie. « Ainsi de récentes radiographies de la statuette définitive ont montré qu’elle était bourrée d’éléments hétéroclites, à commencer par des manches de pinceaux –on ne saurait mieux justifier le mot d’argot qui désigne les jambes ! Il s’y trouve aussi des chiffons, des copeaux de bois, du molleton de coton, des verres et des bouchons de liège, tous empruntés par Degas à son environnement immédiat, en une improvisation inspirée dont la précarité s’accorde à celle du modèle. »

Merci Camille Laurens d’avoir eu la curiosité d’aller chercher qui était cette petite danseuse de quatorze ans, de nous en faire le portrait, sans jamais lui inventer une vie fictionnelle, de lui rendre justice. A travers Degas et elle, vous brossez le portrait de la société de l’époque.

Un livre très riche, argumenté, une réflexion sur l’art, le conformisme (même chez certains impressionnistes). Le moralisme bourgeois que vous décrivez pourrait être l’aune qui mesurera notre société à venir.

« L’archive est un gouffre, c’est une spirale à l’attraction de laquelle il est impossible de résister. Chaque détail prend une place démesurée dans l’esprit, tout fait signe comme dans une histoire d’amour, tout est matière à interprétation, à obsession. Il y a une pathologie de l’archive, une passion peut-être aggravée quand on est romancier. » Camille Laurens, une amie généalogiste amateur, passionnée, ne dirait pas autre chose.

Degas, « ce misanthrope désigné, cet homme prétendument dur et misogyne qui a métaphorisé son âme en une image de midinette : « j’ai enfermé mon cœur dans un soulier de satin rose » » 

J’ai rencontré l’écriture de  Camille Laurens avec « Celle que vous croyez » et  « La petite danseuse de quatorze ans » est un coup de coeur.

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A
Une lecture que j'avais apprécié. J'ai appris pleins de choses sur le sculpture en elle-même.
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Z
Moi également. J'ai été stupéfaire de voir ce que les radiographies de la statue ont montré
A
Je suis étonnée du mauvais accueil reçu par cette statue. Je ne la trouve pas laide, au contraire, je la trouve touchante, elle dégage à la fois de la force et de la fragilité.
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Z
Je le fus aussi. Mais c'est à comparer avec les portraits de la bourgeoisie de Renoir entre autre. L'auteure en parle dans le livre.
V
J'aime beaucoup les danseuses de Degas et la couverture de ce roman. Je pourrais me laisser séduire.
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Z
Ne résiste pas, fonce !
L
Je l'ai celui-ci. Il faudra que je le lise...
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Z
Je te disais qu'il devrait te plaire, je ne suis pas passée loin.
U
Noté depuis longtemps ! Tu enfonces le clou :)
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Z
Si tu savais comme je voudrais ne pas le rendre à la bib !
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