Seray Şahiner - La coiffure de la mariée
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La coiffure de la mariée
Seray Şahiner
Traduit du turc par Canan Marasligil
Editions Belleville
192 pages
ISBN : 9791095604006
4ème de couverture :
Comme s’il savait que je ne voulais pas de ce mariage, voilà que notre voisin meurt avant même que mon henné ait eu le temps de sécher !
Elle était tellement triste, Sibel, mais ça ne l’a pas empêchée de se consoler avec l’espoir que ce décès soudain annulerait la cérémonie. Avant de venir au salon de coiffure, elles étaient à l’enterrement à la mosquée Murat Paşa. Sa future belle-mère n’a cessé de marmonner : « Qu’il repose en paix, même s’il a bien choisi son jour pour mourir ! Maintenant, la moitié des villageois ne viendra pas au mariage, il aurait pu attendre un jour ou deux, paix à son âme ! »
L’auteur (site de l’éditeur) :
Seray Şahiner est née à Bursa en 1984 et a grandi à Istanbul. Également journaliste, elle a collaboré à bon nombre de magazines et fanzines turcs, a été correspondante pour Marie Claire et a également écrit des scripts pour la télévision. Ses romans ont attiré l’attention du public lors du Yaşar Nabi Nayır Short Story Competition organisé par le Varlık Literary Magazine, grande revue turque.
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Neuf instantanés de vie. Neuf femmes turques qui oscillent entre modernité et traditions. Elles sont aussi diverses que le peuple turque, avec, en commun, la société patriarcale dans laquelle elles évoluent. Elles vivent librement, ont des amants mais espèrent toutes un mariage convenable.
Zeynep, célibataire, fut la maîtresse de son chef pendant quelque mois, mais cela n’ira pas plus loin
« Un homme a deux mois de se marier ne prend pas le risque d’être vu avec sa copine illégitime. Je crois bien que j’ai servi d’enterrement de vie de garçon à notre responsable de service. »
Elif quitte son amant, mais ce qui lui pèse le plus, c’est de quitter leur appartement qu’elle a décoré à sa manière, comme elle aime. Sorte de fuite, non pas par amour pour le garçon, mais pour SON appartement.
« Cette maison est bien plus importante mes yeux que Samet »
« Je n’ai jamais rien quitté dans ma vie, j’ai déjà laissé tomber des gens mais jamais quelque chose que j’ai construit moi-même… ».
Selman se marie, sans chichis, sans cérémonie, même sans robe de mariée et sans voile, sans ses parents. Pourtant, ils s’aiment. Premier acte positif de ce livre. Elle veut se marier avec Selman et le fait.
« Mes beaux-parents étaient venus demander ma main ; mon frère et ma mère n’avaient pas accepté. Ils avaient dit que Selman était un « vaurien » ; mais ce n’est pas Crésus qui allait demander la main d’une fille sans père, alors je m’étais enfuie. »
Sibel résume très bien sa situation par cette phrase :
« A quoi bon faire des études si on n’échappe pas à la mentalité d’arriéré ».
Pourtant, elle se retrouve mariée à Eren.
Cette nouvelle « La coiffure de la mariée » dépeint très bien ce grand écart entre la modernité et la tradition. Eren a fait des études supérieures, a une vie indépendante, n’est plus vierge et, pourtant elle va se marier avec un homme qu’elle ne connait pour ainsi dire pas. Sibel a même pensé à l’éventualité de se faire recoudre l’hymen. J’aimerais connaître l’attitude du marié au lendemain de la nuit de noce !!
« Ô mon dieu, faites que ce type soit impuissant, qu’on évite la catastrophe familiale. »
J’ai ri en écoutant Fidan parler de ses voisines devenues musulmanes intégristes. J’ai ri en la regardant coudre ses fameuses culottes à sept couches…. Après la danse des sept voiles, la culotte à sept couches ! Faut-il en rire ou en pleurer ?
Là où les unes s’émancipent en créant leur entreprise, les autres s’enveloppent dans leurs voiles noirs et se cachent.
Esme est une femme libre, traductrice, elle a son propre appartement aménagé selon les critères de « Marie-Claire », un amant qui adore lire aux toilettes… Sa devise : « Etudier pour échapper au ménage ». Elle est même devenue « Madame Esme » sans être mariée. Esme a horreur de tout ce qui peut trouble sa vie bien rangée… Jusqu’au jour où il y eut des travaux en bas de chez elle.
Elle semble s’éveiller à la vie extérieure, revient chez ses parents, devient humaine et… un petit retour à la tradition.
Çiğdem et son hésitation amoureuse, qui, choisit l’Autre, le Vrai ou se laisse choisir. Serait-elle la plus moderne ?
Pas facile d’être une femme qui se voudrait libre dans un monde entre orient et occident, modernisme et traditions, liberté et patriarcat.
Des portraits à la fois drôles, ironiques, tendres dont il ressort un sentiment de mélancolie ; ces femmes acceptent leur sort, certaines ne cherchent même pas à contredire la tradition.
Ah ! Le culte de la virginité, que de parlotes il fait dire ! Ces jeunes femmes, universitaires pour certaines, ont lancé leur bonnet par-dessus les moulins, mais craignent le meunier et les lendemains d’un mariage arrangé, où la mariée n’est plus ce qu’elle aurait dû être.
Un très beau bouquet de femmes stambouliotes qui pratiquent le grand écart culturel avec humour, détachement, fatalisme.
Seray Şahiner a mis tout son amour dans ces neuf nouvelles qui se lisent comme un roman.
Couverture très joliment illustrée par Duru Eksioglu pour ce premier livre des Editions Belleville ; qui plus est, livre connecté. Système amusant et bien fait qui donne un plus à la lecture. Ecouter la musique, lire les explications. La page est ici.
Je souhaite une belle postérité aux Editions Belleville qui allient beauté des textes et des couvertures. J’avais lu et aimé « Sainte Caboche », second livre paru chez ces éditrices.
Cerise sur le gâteau ici