Jean-Pierre Minaudier - La poésie du gérondif
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Poésie du Gérondif
Jean-Pierre Minaudier
Avril 2014
160 pages
ISBN : 978-2-37055-016-3
4ème de couverture :
Un éloge des grammaires, de la diversité des langues et des cultures du monde.
« Historien de formation, gros consommateur de littérature et de bandes dessinées depuis mon adolescence, j’ai, sur la quarantaine, traversé une drôle de crise: durant plus de cinq ans, je ne suis pratiquement arrivé à lire que des livres de linguistique, essentiellement des grammaires de langues rares et lointaines. Aujourd’hui le gros de l’orage est passé, mais je persiste à consommer nettement plus de linguistique que de romans. Je n’apprends pas ces langues: à part l’espagnol, l’anglais et deux mots d’allemand, je ne sais passablement que l’estonien, et je me suis quand même récemment mis au basque car c’est de loin la langue la plus exotique d’Europe. Mais j’en collectionne les grammaires — je possède à ce jour très exactement 1 1163 ouvrages de linguistique concernant 856 langues, dont 620 font l’objet d’une description complète. Je les dévore comme d’autres dévorent des romans policiers, comme le rentier balzacien dévorait les cours de la Bourse, comme les jeunes filles du temps jadis dévoraient Lamartine, frénétiquement, la nuit, le jour, chez moi, dans les diligences (pardon, le métro), en vacances, en rêve. Il y a longtemps en revanche que j’ai appris à m’en tenir à d’autres sujets dans les soirées en ville, car je ne tiens pas spécialement à dîner avec Lucullus. »
L’auteur :
Jean-Pierre Minaudier est né en 1961 à Lyon. Ancien élève de l'École Normale Supérieure, professeur d’histoire en hypokhâgne et khâgne, traducteur, il est également chargé de cours d’histoire estonienne et de traduction littéraire depuis l’estonien à l’INALCO et enseigne le basque à la Maison Basque de Paris. Son temps libre est assez compté.
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Gérondif (définition du petit Larousse) : En français, forme verbale terminée par-ant et précédée de la préposition en, qui sert à décrire certaines circonstances de l'action. (Le gérondif fonctionne comme un complément circonstanciel de cause, de concession, de condition, de manière, de temps ; son sujet sous-jacent est identique au sujet du verbe principal : En sortant, j'ai vu qu'il pleuvait.)
D’office je vais l’utiliser car, en lisant ce livre, il m’est souvent arrivé de sourire, voire rire, oh pas trop fort, j’étais dans un train.
La quatrième de couverture nous en apprend sur l’homme et son amour, que dis-je, sa gourmandise concernant la lecture et la linguistique. Cet amour, il le transmet dans son livre avec une verve, des trémolos dans les mots, un plaisir quasi charnel. Son livre, savant, érudit mais pas redondant, avec quelques piques bien senties « Et les Aztèques : qu’est-ce qui a bien pu pousser cette peuplade californienne à aller faire du tourisme au Mexique (je visualise un camping-car décoré de fleurs jaunes sur fond violet d’où s’échappe un air de Joan Baez, lancé à la poursuite d’un aigle entrevu dans un nuage de marijuana lors d’un trip particulièrement réussi), poussant même une reconnaissance jusqu’au Salvador (le fameux dialecte pipil) .
Vous apprendrez qu’en inuit « Tuktusiuqatiqarumalauqpuq » signifie « Il désira avoir un compagnon de chasse au caribou », que chidinaa'na'ibee'eldṍṍhtsohbikàà'dahnaaznilίgίi, « voiture qui glisse sur le sol avec de gros fusils dessus » parle en fait d’un tank !!
Ce fut un délice de lecture. Pierre Minaudier parle avec facétie de son amour des mots, des langues rares, des grammaires. J’aime son addiction. Ses déclarations d’amours dithyrambiques adressées aux éditions de Gruyter-Mouton trouvent leur acmé page 130. En voici quelques exemples sobres ! « Que tous les sains du paradis intercèdent en leur faveur au jour du jugement », « Elles sont le sel de la terre ! »
Un livre qu’il ne faut pas lire d’une traite, mais où il fait bon vagabonder, s’abandonner.
Jean-Pierre Minaudier a superbement traduit de l’estonien les livres d’Andrus Kivirähk, l’homme qui parlait la langue des serpents et les groseilles de novembre. La couverture est des mêmes auteurs.
Les cartes et les maquettes sont élaborées pour répondre à des besoins qui leur préexistent, tandis qu’une langue naît et se développe toute seule pour l’essentiel : c’est de manière imprévisible, incontrôlée qu’elle oriente notre regard sur les choses
Ainsi « tank » se dit chidinaa'na'ibee'eldṍṍhtsohbikàà'dahnaaznilίgίi, littéralement « voiture qui glisse sur le sol avec de gros fusils dessus ». Il est probable que dans la pratique, les Navajos recourent à l’anglais pour le genre de conversation où l’on a à mentionner un tank – C’est une bête question de sélection naturelle : le temps de s’écrier « Gare, le tank arrive ! », l’obstiné » navajophone est déjà réduit à l’état de crêpe Suzette, dans l’indifférence de ses compagnons d’armes plongés dans leur dictionnaire.