Metin Arditi - Le Turquetto
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Le Turquetto
Metin Arditi
Editions Actes Sud
Août 2011
288 pages
ISBN 9782742799190
4ème de couverture :
Se pourrait-il qu’un tableau célèbre – dont la signature présente une anomalie chromatique – soit l’unique œuvre qui nous reste d’un des plus grands peintres de la Renaissance vénitienne : un élève prodige de Titien, que lui-même appelait “le Turquetto” (le petit Turc) ?
Metin Arditi s’est intéressé à ce personnage. Né de parents juifs en terre musulmane (à Constantinople, aux environs de 1519), ce fils d’un employé du marché aux esclaves s’exile très jeune à Venise pour y parfaire et pratiquer son art. Sous une identité d’emprunt, il fréquente les ateliers de Titien avant de faire carrière et de donner aux congrégations de Venise une œuvre admirable nourrie de tradition biblique, de calligraphie ottomane et d’art sacré byzantin. Il est au sommet de sa gloire lorsqu’une liaison le dévoile et l’amène à comparaître devant les tribunaux de Venise…
Metin Arditi dépeint à plaisir le foisonnement du Grand Bazar de Constantinople, les révoltes du jeune garçon avide de dessin et d’images, son soudain départ... Puis le lecteur retrouve le Turquetto à l’âge mûr, marié et reconnu, artiste pris dans les subtilités des rivalités vénitiennes, en cette faste période de la Renaissance où s’accomplissent son ascension puis sa chute.
Rythmé, coloré, tout en tableaux miniature, le livre de Metin Arditi convoque les thèmes de la filiation, des rapports de l’art avec le pouvoir, et de la synthèse des influences religieuses qui est la marque particulière du Turquetto.
Né en Turquie, familier de l’Italie comme de la Grèce, Metin Arditi est à la confluence de plusieurs langues, traditions et sources d’inspiration. Sa rencontre avec le Turquetto ne doit rien au hasard, ni à l’histoire de l’art. Car pour incarner ce peintre d’exception, il fallait d’abord toute l’empathie – et le regard – d’un romancier à sa mesure.
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Sans que je ne lui demande rien, Metin Arditi me tend la main, une main gantée. Celle d’une peinture à la signature énigmatique. Parti de cette anomalie chromatique révélée dans la « note au lecteur », il me lance dans un voyage à travers le 16ème siècle de Constantinople à Venise via la Grèce.
J’ai suivi le trajet d’Elie Soriano né à Constantinople, juif en terre musulmane. Il s’expatrie à la mort de son père à Venise pour pouvoir dessiner (ce que sa religion lui interdit) et suivre l’enseignement du Titien. Devenu Le Turquetto, juif, prétendument converti au christianisme, (cela lui coûtera la vie) je suis son évolution, sa gloire et sa chute.
La peinture tient une grande place dans ce livre. Outre le Titien ou le Turquetto, Metin Arditi dépeint Venise en son XVIème siècle empli de remugles, de toilettes, de magnificence, de misère. Le Turquetto regarde, emmagasine, dessine sans papier. Je suis ses mains dans les méandres de sa mémoire et de ses dessins imaginaires. J’ai vraiment eu l’impression de le suivre partout, d’être à ses côtés lorsqu’il peignait, c’est magique.
J’ai aimé les descriptions. J’ai parcouru les ruelles de la Sérénissime, humé les odeurs pestilentielles ou délicates. J’ai apprécié la réflexion sur la religion et sa représentation picturale ou réelle avec plus particulièrement Scanziani si préoccupé par son avancement et ses toilette, contrebalancé par l’humanité de Gandolfi. J’ai souri jaune au procès en hérésie perdu d’avance et, surtout, lorsque les tableaux de l’hérétique furent tous brûlés et qu’il en émanait une odeur d’encens qui a fait se prosterner les femmes venues assister à l’autodafé.
Enfin, tous, non puisqu’il envoie son dernier tableau à son maître, le Titien, avec ce simple T en signature.
A la fin du livre, la boucle est bouclée, mais je n’en dirai pas plus.
Une vie riche en péripéties, riche en rencontre, riche tout court qui donne un livre érudit, dense, beau que j’ai vraiment aimé lire.
Un coup de cœur pour un livre et un auteur qui m’a déjà enchantée avec « Prince d’orchestre » et « La confrérie des moines volants ».