Isabelle Stibbe - Les maîtres du printemps
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Les maîtres du printemps
Isabelle Stibbe
août 2015
192 pages
ISBN : 9791090175358
4ème de couverture :
Un métallurgiste charismatique. Un sculpteur au soir de sa vie. Un député aux dents longues. Trois hommes que tout sépare se retrouvent au cœur du combat pour sauver le dernier haut-fourneau d’Aublange, en Lorraine. Alors que l’élection présidentielle se rapproche, ravivant l’idéal d’un monde meilleur, les parcours s’entrecroisent, les espoirs grandissent. Face aux trahisons des politiques, aux plans de licenciements ou à la montée de l’extrême droite, la beauté n’est jamais loin. Notamment dans le spectacle grandiose de la fonte en fusion, la solidarité à l’œuvre ou une naissance à venir…
Inspiré par la fermeture des hauts-fourneaux de Florange, ce roman est l’histoire d’une lutte collective et héroïque pour préserver son humanité face à la logique implacable de la finance. Bataille perdue d’avance ?
Un texte magistral qui réjouira les lecteurs de Hugo, Zola, Vailland ou Aragon…
L’auteur :
Isabelle Stibbe, née à Paris en 1974, débute dans le droit international, puis devient responsable des publications à la Comédie Française et au Grand Palais.
Elle est actuellement secrétaire générale de l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet. Bérénice 34-44, son premier roman, a été très remarqué et distingué par de nombreux prix littéraires dont le prix Simone Veil, le Prix littéraire des grandes écoles ou le Prix littéraire de l’ENS Cachan. Il a paru au Livre de Poche en novembre 2014.
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La vallée de la Fensch en Moselle n’est plus la vallée des anges, elle va devenir la vallée de la mort. La mort de la sidérurgie, l’arrêt des hauts-fourneaux pour une vile question d’argent. Il faut le savoir, à Florange, pardon Aublange dans le livre, il y a des commandes, il y a du travail, mais l’indien comme ils l’appellent en a décidé autrement.
« Cette journée qui aurait dû être radieuse sous le soleil aguicheur mais non, putain de journée de juin, se lever et entendre ça, se prendre ce coup de poing dans la gueule qui les laisse là, sonnés, au bord de l’asphyxie, avec ce sentiment de vide qui doivent connaître au réveil les soldats amputés ». Le ton est donné, ce sera brut du côté du syndicaliste. Il parle avec ses tripes, avec sa peur au ventre, son désir de continuer ce travail si dur, si rude, mais qu’il aime, le mot est presque faible « C’est extraordinaire, quand tu vois la fonte en fusion qui jaillit, ce feu qui se déverse avec une puissance incroyable et que tu assistes à ça, c’est tellement plus grand que toi que tu ne voudrais être ailleurs pour rien au mode, et là tu l’aimes ton usine, tu l’as dans la peau. Après tu as beau revoir ce spectacle cent mille fois, tu ne t’en lasses jamais »
Alors, ils se battent et Isabelle Stibbe nous raconte cette bataille.
Ce livre écrit à partir de faits réels est ancré dans la réalité politique de l’élection présidentielle, la victoire du parti socialiste et, surtout, les espoirs que cette élection, suite aux promesses faites, a induit.
Livre à 3 voix et 3 couleurs.
Max (gris), le sculpteur au vocabulaire plus littéraire, plus sensuel « J’applique mes paumes contre la surface cimentée, comme un pianiste plaquerait un accord final. Je plonge dans le gris, m’en imbibe, deviens gris moi-même, m’étonne que ce soit si simple ». Son cœur est à gauche, mais, venant d’un milieu privilégié, il ignore le monde ouvrier, non pas par mépris, mais simplement parce que cela ne fait pas partie de son environnement. Il découvre Pierre « … quand un homme d’une cinquantaine d’années a accroché mon attention…. Ce type se bat pour sa peau. » et décide de créer sur le site d’Aublange sa sculpture gigantesque
Avec Pierre, le syndicaliste (rouge), c’est du brut, ça cogne mais ça pleure aussi. Ce fils d’immigré espagnol, syndicaliste dans l’âme, est l’incarnation de l’ouvrier selon Saint Media. « Ils viennent tous là pour nous interviewer, nous filmer, nous photographier, mais ils ne regardent pas l’usine comme nous. » Il se bat, avec ses camarades et les autres, pour sauver leur outil de travail, pour sauver leur vie, leur peau.
Daniel (blanc), ministre est souvent dans l’introspection, dans le doute. Fils d’ouvriers, il a tout fait pour oublier ses origines mais ressent dans ses fibres la fermeture des aciéries. Il est chargé de trouver une solution au problème d’Aublange.
Isabelle Stibbe nous raconte cette bataille. Son tour de force ? Changer de ton, de vocabulaire, de style pour chacun des trois intervenants, d’y avoir mis de la tripe, de l’humanité, de la poésie, de la beauté, de la vraisemblance.
J’ai vu vivre ces 3 personnages si différents qui, chacun à sa façon, lutte t pour ne pas que « l’Indien de mes couilles » ferme les hauts-fourneaux. Max, Pierre, Daniel nous livrent leurs états d’âme, leurs combats, le cheminement, la maturation de leurs pensées.
Un sacré bouquin, une belle écriture. Isabelle Stibbe se fait peintre, poète lorsqu’elle décrit le fer en fusion, se fait journaliste, polémiste, conteuse.
Une lecture passionnante où j’ai ressenti l’urgence, le temps de la lutte, de l’espoir. Le temps de l’analyse viendra plus tard.
« Tout à coup le silence. La boucheuse a injecté la masse d’argile réfractaire dans le trou de coulée. Un couvercle sur leur tombe. Cette fois, c’est vraiment la dernière coulée. »
Isabelle Stibbe écrit en exergue de son livre une très belle phrase pleine d’espoir de Pablo Neruda : « Nos ennemis peuvent couper toutes les fleurs mais ils je seront jamais les maîtres du printemps ».
J’aime le toucher de la couverture de ce livre tout de douceur dans sa couleur orange. Oui, comme le dit la 4ème de couverture, ce livre a du Zola, du Victor Hugo dans les veines. Quelles descriptions, quelles envolées ! C’est beau car vivant.
Vous l’avez compris c'est un coup de coeur.
Déjà lu chez cet éditeur Aÿmati de Béatrice Castaner
C’est dégueulasse de vieillir.
Notre vieille Europe a perdu le sens du sacré en même temps que l’esprit de sacrifice. Cependant, au milieu du fracas du monde, de ses désordres, il y aurait donc une place pour le courage. L’engagement de ces types m’a ébranlé.
Sur le plancher de coulée, c’est encore plus beau qu’à la coulée continue. Tu as l’impression d’arriver sur une autre planète, rien qu’avec les fondeurs et leurs combinaisons spéciales gris métallisé pour éviter les éclaboussures de la fonte en fusion, t’as jamais vu ça ni rien qui y ressemble. Le bruit, les poussières d’acier, le feu, le danger, là c’était grand, c’était à ma hauteur.
Ce qui m’a fasciné c’est à quel point le feu semblait savoir où il allait, … j’en aurais chialé.
Ce que voit le sculpteur : non pas des trucs, des bidules, un grand fatras, mais une cité de fer, quelque chose qui ressemblerait aux fabuleuses cités incas.
Ils préfèrent croire que demain ils ne seront pas l’arbre face à la cognée, mais l’arbre qui reverdit.
Ils préfèrent croire qu’ils ne connaîtront pas le parjure, mais le respect de la parole donnée.
Ils préfèrent croire à la bonne nouvelle, celle qu’ils veulent entendre, et ils baptiseront ce jour Thanksgiving Day, jour d’actions de grâce, dû à leur seul courage, à leur détermination collective.
Encore une nuit à attendre, quelques heures, ce n’est rien.