Lydie Salvayre - Pas pleurer
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Pas pleurer
Lydie Salvayre
Editions du Seuil
Août2014
288 pages
ISBN : 9782021116199
4ème de couverture :
Deux voix entrelacées.
Celle, révoltée, de Bernanos, témoin direct de la guerre civile espagnole, qui dénonce la terreur exercée par les Nationaux avec la bénédiction de l’Église contre « les mauvais pauvres ».
Celle, roborative, de Montse, mère de la narratrice et « mauvaise pauvre », qui a tout gommé de sa mémoire, hormis les jours enchantés de l’insurrection libertaire par laquelle s’ouvrit la guerre de 36 dans certaines régions d’Espagne, des jours qui comptèrent parmi les plus intenses de sa vie.
Deux paroles, deux visions qui résonnent étrangement avec notre présent et qui font apparaître l’art romanesque de Lydie Salvayre dans toute sa force, entre violence et légèreté, entre brutalité et finesse, porté par une prose tantôt impeccable, tantôt joyeusement malmenée.
L’auteur (site de l’éditeur) :
Lydie Salvayre a obtenu le prix Hermès du Premier roman pour La Déclaration, le prix Novembre (aujourd’hui Prix Décembre) pour La Compagnie des Spectres et le prix François Billetdoux pour BW. Ses livres sont traduits dans une vingtaine de langues. Certains ont fait l’objet d’adaptations théâtrales.
Pas pleurer a obtenu le prix Goncourt 2014
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« On est en Espagne en 1936. La guerre civile est sur le point d’éclater, et ma mère est une mauvaise pauvre. Une mauvaise pauvre est une pauvre qui ouvre sa gueule. Ma mère, le 18 juillet 1936, ouvre sa gueule pour la première fois de sa vie. Elle a quinze ans. Elle habite un village coupé du monde où, depuis des siècles, de gros propriétaires terriens maintiennent des familles comme la sienne dans la plus grande pauvreté. »
Au même moment, le fils de Georges Bernanos s’apprête à se battre dans les tranchées de Madrid sous l’uniforme bleu de la phalange. Durant quelques semaines, Bernanos pense que l’engagement de son fils auprès des nationaux est fondé et légitime. Il a les idées que l’on sait. Il a milité à l’Action française. »
Tout va basculer.
Lydie Salvayre plonge dans les souvenirs de sa mère Montse, espagnole qui a connu le vent de la liberté en 1936. Montserrat Monclus Arjona, dite Montse, habitant la Catalogne a 15 ans et le poids de la tradition sur les épaules. Elle suivra son frère José qui s’est engagé auprès des libertaires. Commence une parenthèse enchantée, pour cette jeune adolescente, pleine de folies, d’un immense espoir et d’amour. Las ! Sa relation avec un jeune poète français a porté ses fruits et sa mère reprend son rôle pour la marier avec un bon parti. Ceci fait partie de l’histoire de Montse dans l’Histoire. J’ai découvert cette guerre fratricide entre gens du même bord mais avec des obédiences différentes. Beaucoup d’actions ont leur départ loin de Barcelone, du côté de l’Italie, de l’URSS, en France… Tout le livre s’enroule autour de Bernanos, catholique de droite, auteur des « Grands Cimetières sous la lune », Il découvre avec horreur ce qui se déroule à Majorque et bascule de l’autre côté « Lucide contre la lâcheté et le silence ». Toutes ces exécutions perpétrées par les troupes franquistes à l’encontre des républicains, avec la bénédiction de l’église catholique et du pape. Ne croyez pas que tout est rose et pur de l’autre côté. Lorsque José, à une terrasse, écoute deux comparses discuter de « leur fait de guerre » : l’assassinat sauvage de « deux curés butés », « il est terrassé, comme Bernanos est terrassé au même moment à Palma, et pour des raisons similaires. » Chaque nuit des expéditions punitives contre des fascistes ou prétendus tels, tout comme les chemises bleues raflent de bons pères de famille pour faire des exemples. Le fils de Bernanos désertera après avoir assisté à l’assassinat de pauvres bougres.
Lydie Salvayre décrit ces exactions bénies par les prêtres « L’image de ces prêtres, le bas de leur surpris trempant dans le sang et la boue, et donnant leur viatiques aux brebis égarées qu’on assassine par troupeaux ». J’ai beaucoup aimé sa « petite leçon d’épuration nationale », encore et toujours valable, malheureusement, de nos jours.
Cette année 1936, pour Montse, restera toujours le meilleur moment de sa pauvre vie. Elle a connu la liberté, l’amour, dans la joie, l’euphorie et le bonheur alors que Bernanos a découvert le pire, les exactions, une remise en cause de sa croyance en Dieu.
Un livre noir, ensoleillé par les jurons et le sabir de Montse, ce « fragnol » que l’auteur a détesté dans sa jeunesse. Un livre qui m’a fait découvrir que la guerre d’Espagne avait ses ombres, ses noirceurs dont jamais personne n’a parlé, le silence de pays dits démocrates, le rôle ambigu de Staline. Le style à la fois très travaillé, maîtrisé mais vivant fait de colère, de passion, de drame, de comédie, a fait que je n’ai pas pleuré. Un livre à garder pour ne pas oublier la folie des hommes, un livre très actuel. Peut-être aurais-je le courage de lire "Grands cimetières sous la lune" de Bernanos
Du reste, presque tous les pères du village en 1936 sont malheureux car leurs fils ne veulent plus de leur Sainte Espagne. Ils ne veulent plus supporter le poids de censure dont le curé don Miguel les écrase et dont ils tentent de s’alléger en pissant sur les géraniums de son jardin, ou en salopant, à l’heure de la messe, dans des rires étouffés, le Padre Nuestro
Bernanos apprend que les croisés de Majorque, comme il appelle les nationaux, exécutent en une nuit tous les prisonniers ramassés dans les tranchées, les conduisent « comme un bétail jusqu’à la plage » et les fusillent « sans se presser, bête par bête ». Le travail achevé, les croisés mettent « les bestiaux en tas –bétail absous et on absous », puis les arrosent d’essence. »
Il faut que tu comprends qu’à cette époque-là, me dit ma mère, les racontages remplacent la télévision et que les villageois, dans leur appétit romantique de disgrâces et de drames, y trouvent matière à rêves et à inflammations.