Emmanuelle Pagano - Les Mains gamines
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Les mains gamines
Emmanuelle Pagano
Editions P.O.L.
août 2008
176 pages
ISBN : 978-2-84682-273-2
4ème de couverture :
Les Mains gamines est le troisième roman que nous confie Emmanuelle Pagano. Comme ça, à première vue, ce titre plaisant, presque charmant, semble annoncer une histoire agréable et poétique, pleine d’enfance. Et, de fait, l’enfance est présente dans ce livre et une certaine forme de poésie n’en est pas absente – une forme étrange, d’ailleurs qui, tout en évitant soigneusement la métaphore fait surgir à l’esprit du lecteur des images, des couleurs et des atmosphères souvent splendides.
Mais, en réalité, Les mains gamines racontent une histoire terrible. Celle d’une enfant qui pendant une année scolaire tout entière, en CM2, est tous les jours systématiquement violée par les garçons de sa classe – tous les garçons sauf un. Ils sont trop petits Sans doute. Alors ils se serviront de leurs mains.
Aujourd’hui, le temps a passé. Elle est domestique de l’un de ses anciens tortionnaires. Elle écrit dans un carnet, elle essaie de dépasser cette histoire qui est aussi un secret collectif, elle n’y arrive pas, elle y revient toujours allant même jusqu’à suggérer à son patron d’organiser une fête avec tous les anciens de la classe…
Quatre personnages, porteurs conscients ou non de ce secret, vont tour à tour nous permettre d’en prendre la mesure. Des femmes, seulement des femmes, des femmes qui se sont tues alors qu’il aurait fallu parler, ou qui ne savent pas mais se doutent, comprennent et spécialement dans leur corps, par leur corps, que quelque chose est là tout autour qui ne peut se dire.
À travers de très habiles et très émouvants flux de conscience Emmanuelle Pagano, à la fois révèle le secret et en décrit l’enfouissement. Elle le fait dans une langue magnifique et implacable, précise, sensuelle.
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Une femme, épouse d’un propriétaire viticole, qui ne se sent pas à sa place. Une autre, domestique, qui garde sa place, mais se déplace. Une grand-mère qui a sa place, mais dans le grenier de la grande maison familiale au cœur de la châtaigneraie. Une petite-fille, sa petite-fille qui ne sait où est sa place. Une ancienne institutrice enfermée dans sa maison de retraite et son silence. Toutes ont en commun de se heurter à des murs, des murmures, des non-dits. Des hommes gravitent autour de ces femmes, des hommes qui furent des petits garçons, qui furent tous dans la même classe de CM2, des mains gamines qui commirent, pendant toute une année, un viol, avec leurs mains scélérates de petits garçons, sur une petite fille de leur classe. Enfin, tous sauf un. Ils n’ont jamais rien dit. Pire, l’institutrice, celle de la maison de retraite, qui voyait la scène se renouveler à chaque récréation, s’est tue.
Maintenant, cette petite fille, Emma, est la domestique d’un propriétaire viticole, l’un des violeurs.
Pour exister, Emma écrit, dans un carnet, des poèmes violents, durs, « des sortes de poèmes hards » sur des sexes cousus, protégés par des vers à soie ou des sexes bogues, rétractibles qui se hérissent. L’épouse du propriétaire viticole et violeur les a lus, pour moi un second viol qu’elle ne relèvera pas plus que le premier et qu’elle laissera faire, voire favorisera.
Emma va aider le propriétaire viticole à préparer une soirée où il reçoit tous ses copains de CM2, donc, les petites mains scélérates. Que va faire Emma ? Aurons-nous du suspens, va-t-elle en profiter pour… Et bien, non. Emmanuelle Pagano avec une écriture aussi piquante que les bogues des châtaignes, aussi sensuelle et rude que les paysages de l’Ardèche qu’elle décrit si bien ; d’une plume sensible, poétique, précise, sans voyeurisme ni violence gratuite donne à lire le remord, l’impunité, la revanche silencieuse. Tout est intériorité sauf les otalgies.
Est-ce que le remord donne des problèmes auditifs, sont-ce les cris, les bouches qui se taisent ? Entre celle qui a une bête dans le conduit auditif, celle qui est sourde, les problèmes d’otalgie, je pourrais le penser.
Il y a des cris silencieux qui nous vrillent le cerveau. Personne ne crie au scandale dans ce livre. Comme le dit Claude, les enfants ne paient jamais.
Un livre écrit à voix basse avec des silences assourdissants. Un superbe livre. Après avoir lu et aimé « En cheveux », j’au eu envie d’aller plus loin. Par contre, j’ai arrêté la lecture de « L’absence d’oiseaux d’eau »
Je ne peux pas m’occuper de mon propre espace, chez moi, puisqu’il m’interdit de le faire. Je ne peux pas occuper mon propre espace, mon corps, puisqu’il m’interdit de nettoyer.
Ce n’était pas des poèmes de couchers de soleil, de fleurs assorties, de midinettes… une grammaire, réinventées à chaque phrase pour parler de mains obsédantes, des mains gamines, et d’un sexe aux lèvres cousues, d’un sexe de toute jeune fille hérissé de piquants, une bogue protégeant son fruit encore trop immature, de petites lèvres enfouies sous des fils de soie, tissés entre les poils pubiens par des chenilles apprivoisées. Du délire.
Les écorces sont des plaies, qui gouttent quand il faut en finir
Elle ne copiait personne.
Elle était la meilleure de la classe.
Elle était aussi pas très sage, elle répondait avec insolence, elle s’agitait.
Elle était nature, comme on dit.
Elle était nature, désinvolte, sans pudeur, à cause de ses parents babas cool.
Elle était nature, sans pudeur, et c’est pour ça, c’est à cause de ça je crois, mes pèques ont ceux qu’ils pouvaient plonger à pleines mains dans sa nature.
Elle aurait voulu dire autre chose, mais comment parler à travers une vitre maçonnée cristaux par cristaux, par des gestes répétés chaque jour, des agressions accumulées, quotidiennes, s’agglutinant et coagulant autour d’elle. De la buée à peine, quand elle soufflait.
Quand elle murmurait non.
Quand elle disait non.
Quand elle criait non.
Quand elle voulait dire non.
Quand elle ne pouvait plus le dire.
Quand elle ne le disait plus, non.
De la buée quand elle soufflait pour supporter.