Marie-Hélène Lafon - Les pays
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Les pays
Marie-Hélène LAFON
Editions Buchet Chastel
Septembre 2012
208 pages
ISBN 978-2-283-02477-5
4ème de couverture :
A la porte de Gentilly, en venant de la gare, on n’avait pas vu de porte du tout, rien de rien, pas la moindre casemate, quelque chose, une sorte de monument au moins, une borne qui aurait marqué la limite, un peu comme une clôture de piquets et de barbelés entre des prés.
Fille de paysans, Claire monte à Paris pour étudier. Elle n’oublie rien du monde premier et apprend la ville où elle fera sa vie.
Les Pays raconte ces années de passage
L’auteur :
Native du Cantal, Marie-Hélène Lafon est professeur de lettres classiques à Paris. Tous ses romans sont publiés chez Buchet/Chastel.
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Nous suivons Claire qui, petite fille, « monte » à Paris avec ses parents pour le Salon de l’Agriculture. Une fois jeune fille, elle quitte définitivement son Cantal natal pour étudier les lettres classiques à Paris. Devenue enseignante, nous la retrouvons à travers le regard de son père.
Marie-Hélène Lafon évoque la vie estudiantine de Claire, du fossé qui la sépare, elle dont la culture est pratique, aux autres étudiants citadins. Elle bûchera comme un paysan sa terre, sans aucune des fioritures que sont le cinéma et autres futilités. « Claire n’allait pas au café, Claire ne se divertissait pas elle ne savait pas le faire et elle n’en avait pas besoin. »
Claire s’est trouvé un pays en la personne d’Alain magasinier à la bibliothèque qu’elle fréquente assidument. Pays, quel joli mot, qui permet de parler à l’autre avec le langage de là-bas. Lui, aura sa mutation loin de cette capitale où il se considérait en transit avant le retour au pays. Claire, elle n’y pense pas. « Elle prendrait avec Alain la mesure d’une distance déjà creusée entre elle et ceux qui, comme lui, continuerait à vivre à l’unisson des parents et amis demeurés à l’épicentre du séisme » Non, elle restera à Paris, même pendant les vacances d’été où elle travaillera dans une banque.
Le Cantal emplit ce livre malgré la vie parisienne de Claire. Mais est-t-elle pour ça devenue parisienne ? Je ne le pense pas, elle devient transfuge car elle n’appartient plus au Cantal, mais n’est pas pour cela parisienne. C’est un livre sur l’exil choisi. Le Cantal est à jamais dans le cœur de Claire qui y retourne souvent.
C’est également le récit, d’une initiation, de l’apprentissage d’un changement radical dans le rapport aux éléments. Du végétal, Claire passe au minéral ; du cake maison au jambon fade, de l’espace à la promiscuité… enfin bref, de la campagne à la capitale. « Elle avait dû apprendre à l’arraché cet entassement de l’immeuble où croissaient, vivaient, s’étiolaient dessus dessous et sur les côtés d’autres corps, que l’on ne connaissait d’abord pas, que l’on frôlait ensuite, parfois, dans l’ascenseur ou dans le couloir. »
Comme dans Tunis Blues, nous avons cette dualité entre l’ancien et le nouveau, la tradition et la modernité. Ici aussi, ils sont étroitement mêlés. Marie-Hélène Lafon parle d’un monde qui disparait ou a disparu : la paysannerie. Je ne parle par des agriculteurs, mais bien des paysans. La réussite de Claire l’éloigne à jamais de la vie que son père a connue.
On pourrait penser que ce livre est ennuyeux. Et bien non, Marie-Hélène Lafon, l’air de rien m’a petit à petit envoutée avec son écriture. Marie-Hélène Lafon, outre son Cantal, a un pays de prédilection : l’écriture. Ses phrases longues sont souples sans jamais être ennuyeuses. J’ai aimé son écriture, son style. Le passage de Claire entrant dans une librairie acheter des livres est un petit bijou, tout comme son travail d’été dans une banque.
Je l’ai découverte lors de l’émission de François Busnel, sur « Les 20 livres qui ont changé votre vie » ; un grand plaisir de l’écouter parler du « Grand Meaulnes » d’Alain Fournier, qui fut mon livre de chevet toute jeune fille et que je garde dans mon cœur. J’ai aussitôt sorti son livre de mes étagères pour découvrir l’auteur. Comme j’ai bien fait !
Lucie avait expliqué qu’elle avait remarqué ce cake, l’avait humé déjà, un autre lundi, avait pensé que cette nourriture ne venait pas de Paris, comme son camembert déniché pour elle par son père chez un fermier.
Elle avait dû apprendre à l’arraché cet entassement de l’immeuble où croissaient, vivaient, s’étiolaient dessus dessous et sur les côtés d’autres corps, que l’on ne connaissait d’abord pas, que l’on frôlait ensuite, parfois, dans l’ascenseur ou dans le couloir.
Longtemps Claire avait tu ses enfances, non qu’elle en fut honteuse ni orgueilleuse, mais c’était un pays tellement autre et comme échappé du monde qu’elle n’eût pas su le convoquer à coups de mots autour d’une table avec ses amis de Paris. Elle avait laissé les choses parler pour elle.