Thomas B. Reverdy - L'envers du monde
-
L’envers du monde
Thomas B. Reverdy
Collection Cadre rouge
Août 2010
272 pages
ISBN : 9782021030587
4ème de couverture :
New York, août 2003. Une chaleur suffocante.
Ground Zero, le site des attentats du 11 septembre, vidé de ses décombres, n’est qu’un trou large comme un quartier. Ce n’est plus le World Trade Center depuis deux ans, et ce n’est pas encore la Tour de la Liberté, qui n’est qu’un projet d’architectes. Un non-lieu étrange, une absence dans le paysage. « Le plus petit désert du monde ».
Un vendredi à l’aube, on découvre le corps mutilé d’un ouvrier arabe sans identité, jeté là, dans un puits de forage. Les cendres sont prêtes à se ranimer.
Le commandant O’Malley, qui se charge de l’enquête, porte un costume sombre et ne transpire jamais. De Manhattan à Coney Island, il rencontre, interroge témoins et suspects. Candice, par exemple, la serveuse aux cheveux ambrés comme la bière qu’on brasse à Brooklyn. Ou Pete, l’ancien policier qui fait visiter le chantier aux touristes et qui a eu une altercation avec le mort, la semaine passée. Obèse et raciste avec ça, il ferait un bon coupable. Et puis il y a Simon, l’écrivain français de cette histoire, qui s’interroge sur l’impossible deuil de ces bouts d’existences américaines.
Sans jamais lâcher le mouvement de ses personnages, Reverdy y ajoute un luxe descriptif, un sens du détail, un brio et une musicalité qui lui sont personnels. Car, on le sait, « il faudrait une vie pour raconter une vie ».
L'auteur :
Thomas B. Reverdy est né en 1974. Il s’est révélé en 2003 avec La montée des eaux, auquel ont fait suite Le ciel pour mémoire (2005) et Les derniers feux (2008, prix Valéry Larbaud). Par son souffle et ses dimensions, ce grand roman sur la blessure de l’Amérique annonce une ambition nouvelle.
================
3 chapitres, 3 personnages.
- Pete l’ancien policier fracassé par le 11 septembre. Il était sur le site, mais… "Malgré la cellule psychologique et les groupes de paroles, les antidépresseurs et le club de gym de la police, il avait sombré petit à petit". Poussé à la retraite, il fait visiter Ground Zero aux touristes en qualité de victime et d’ancien héros. « Ancien héro, est-que ça existe, ça comme catégorie, est-ce qu’on ne l’est pas une fois pour toutes ? »
- Candice, une des nombreuses veuves qui court pour essayer de vivre. Elle a suivi la catastrophe à la télé et a vite su que son amour ne reviendrait jamais « Cela faisait deux ans, déjà, que Candice ne s’en remettait pas ».
- Simon (double de l’auteur ?) écrivain français venu travailler sur la thématique de l’absence et du souvenir. Simon, « étranger dans un monde où plus personne n’était vraiment chez soi »
Au départ, il y a un mort, Muhammad Sala ; un des nombreux travailleurs illégaux sur le site de Ground Zero. « La victime ? Ecoutez commandant, ce type était un musulman, et sûrement un clandestin, pas une victime. Victime, c’est un mot qu’on réserve ici à tous ceux qui sont morts dans les tours. »
L’impression d’une ronde infernale autour de Ground Zero. Tout ramène à ce site. Les survivants se cognent sur les parois en verre de la reconstruction comme des insectes sur une vitre. O’Malley enquête et s’ajoute à la ronde.
Thomas B. Reverdy, dans ce livre, parle beaucoup de l’absence de corps et du souvenir. Pete résume ceci : « La mort me saute au visage ... Cependant, il n’y a rien à voir –des pierres, des ouvriers, des machines–, rien qu’un trou. Mais c’est cela la mort, n’est-ce pas ? – Un vide, une absence qui dure. » New-York est une ville toujours en construction ou en reconstruction, les tours jumelles n’échappent pas à la règle. Il faut remplir le vide et bienvenue à la Freedom Tower. « Pourquoi construit-on un mémorial ? Pour se souvenir, « en mémoire de », c’est-à-dire en hommages aux victimes, et donc d’abord à l’usage de leurs familles. C’est un gros tombeau. Allons plus loin. Cet endroit désigne la mort pour ne pas qu’on l’oublie. » Quelle relation entre l’absence et le souvenir ? absence des corps et le deuil ; absence et la difficulté de se souvenir. Tout le livre tourne autour de ces sujets comme les 3 personnages tournent autour de Ground Zero.
Toujours ces mêmes souvenirs qui reviennent, ces morts que l’on n’a pas pu enterrer. Comment faire pour se recueillir alors que tout concourt à l’oubli. A l’emplacement du trou, se construit un nouvel édifice.
Ce roman noir est rythmé par les voix distinctes des protagonistes. Chacun donne ses mots pour parler et au détour de paragraphes, nous avons un cycliste, allié à la mafia russe, qui se faufile dans les rues, sur les toits comme l’ange de la mort.
J’aime l’écriture de Thomas B. Reverdy, puissante, rythmée, évocatrice que j’avais découverte dans « les évaporés ». Il y a, là aussi, cette possibilité de renaissance. Les personnages sont lucides, blessés, mais il y a quand même cette petite étincelle d’espérance, même si…
Un superbe livre coup de poing
Cela faisait un bruit sourd, régulier très profond, qu’on oubliait vite parce qu’il était omniprésent, les coups de boutoir d’un métronome souterrain, un bruit si fort pourtant si bas que ce n’était qu’une vibration, comme le battement du cœur quand on a les oreilles bouchées dans un effort violent.
A chaque fois, pendant un court instant, je ne saurais pas dire, c’est la mort. La mort me saute au visage comme un diable à ressort quand j’avais cinq ans. Cependant, il n’y a rien à voir –des pierres, des ouvriers, des machines–, rien qu’un trou. Mais c’est cela la mort, n’est-ce pas ? – Un vide, une absence qui dure.
Le vent rend la sueur presque froide comme il file sur Lincoln et, de là, sur Flatbush, uniquement par les rues qui descendent et donnent l’impression de voler, presque totalement silencieux comme une chouette, accompagné seulement du frottement des routes sur l’asphalte.
Les faits mentent, les faits n’ont rien à dire, mais les faits nous aveuglent sans cesse.
On n’a pas vu tout de suite les types qui sautent, piégés dans les étages supérieurs… Environ deux cents ont préférés sauter. Même cela, ça ne veut rien dire. C’est juste un fait, encore un chiffre.
O’Malley connaissait la musique. C’était un gros chantier, mais tout était sous-traité à d’innombrables petites entreprises qui employaient un bon tiers de clandestins. Sans l’immigration sauvage et le travail au noir, la skyline de Manhattan compterait quinze ou vingt étages de moins et la ville serait peut-être en faillite.
Je sais bien qu’il est là… Vous savez où il travaille, et c’est tout. Maintenant, on n’a pas retrouvé son corps, je viens ici et il n’y a que… vous vouez, ce n’est qu’un genre de trou. Je ne peux même pas me dire, c’était donc là.
Est-ce qu’on peut mourir dans des endroits qui n’existent pas ?
A bien des égards, Ground Zero n’existe pas. C’est une fiction. Entre le fantôme du World Trade Center et le rêve où les choses que nous connaissons disparaissent en laissant une place vide qui est de la place pour des mots, pour du sens, une fiction de la Freedom Tower, c’est le lieu de la disparition, il faudrait un mot pour ça, « le-lieu-de-la-disparition », peut-être, « le-lieu-qui-n’est-le-lieu-de-rien.
C’est un envers. L’envers de l’attentat, l’envers du monde, de nos vies. C’est la douleur et le mal, la mort, l’absence, l’endroit