Lionel-Edouard Martin - Mousseline et ses doubles
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Mousseline et ses doubles
Septembre 2014
312 pages
ISBN : 9782916136769
4ème de couverture :
Lors d’un séjour à Paris, Mousseline s’émancipe de la tutelle paternelle et rencontre Joseph. Avec lui, elle découvre la ville, la littérature et l’amour. Leur passion, aussi imprévisible que totale, est tragiquement interrompue. Elle décide dès lors de s’installer dans la capitale et y ouvre une agence matrimoniale. En charge de l’éducation de son neveu Michel, elle reporte son affection sur l’enfant, avec le désir inconscient de lui voir endosser la personnalité de Joseph. Michel devra alors parvenir à s’imposer pour devenir pleinement lui même — un écrivain.
À sa manière sensible, poétique, imagée, Mousseline et ses doubles est une saga française et familiale, qui débute à la fin du dix-neuvième siècle en province et s’achève de nos jours à Paris. C’est un voyage à travers la France, sa géographie, son histoire (la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’Algérie…). On y retrouve l’intérêt de Lionel-Édouard Martin pour les années 1950 et 1960, dans lesquelles bien des lecteurs pourront trouver un écho à leur propre héritage.
L’auteur :
Né en 1956, Lionel-Édouard Martin est à ce jour l’auteur de plus d’une vingtaine de textes, partagés entre poésie et narration — dont Anaïs ou les Gravières, publié aux Éditions du Sonneur en 2012. Son œuvre narrative, très singulière, est caractérisée par une écriture alliant une grande variété de tons, de la narration sèche à la poésie en passant par l’ironie subtile et la mélancolie.
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L’opération organisée par Libfly et les éditeurs indépendants m’a encore gâtée. Je remercie les , dont j’apprécie la politique de qualité, pour cette jolie découverte.
Mousseline, c’est le fil rouge. Nous la suivons dans sa découverte de Paris et de sa passion amoureuse foudroyante et brève. Mousseline n’est pas du genre à s’épancher, ce n’est pas le genre de la famille. Elle fonce dans l’action. D’ailleurs, cela lui réussit parfaitement question carrière, mais les douleurs et les peines sont là. Nous traversons une grande partie du 20ème siècle. La 4ème de couverture résume bien la trame du roman. C’est vrai j’ai retrouvé des odeurs, des images, des sons de mon enfance. Lionel-Édouard Martin n’est pas avare de descriptions.
Michel, le neveu de Marielle, écrivain un tantinet dilettante et misanthrope, tient la plume et fait parler Mousseline. Sur le mode narratif, il dialogue avec sa tante : tu as fait ceci, tu as dit cela « Donc, tu avais dormi sur le canapé, dans le silence nocturne de la grande ville qui sans cesse t’avait réveillée, si différent du nôtre ». Cette façon d’écrire n’est pas ennuyeuse du tout sous la plume de l’auteur. Il accepte enfin de lui donner la parole, nous passons du mode indirect au mode direct. Nous pourrons même assister à des joutes verbales entre la tante et le neveu.
Les titres de chapitre sont explicites. Ainsi, du premier « L’inventaire est terminé » où nous apprenons tout de l’histoire de la famille du Joseph, le charbonnier et père de Mousseline. L’inventaire est terminé, alors passons à la suite. Chaque titre sert de conclusion au chapitre qu’il débute.
Il y a une sorte de joute entre les tenants du modernisme et ceux du conservatisme qui se lie aussi dans les dialogues. Je m’explique. Mousselin, soldat de métier, découvre l’Algérie et voudrait faire souche au … Maroc, pour lui terre d’avenir. Il parle le « parigot » de l’époque « On dirait que tu deviens gaga, frangine. Ça doit tenir de l’air de Pantruche. « Ville lumière », tu parles : Elle vous noircit, vous encrasse le ciboulot. Lumière mettons, mais de lampe à pétrole ». Mousseline préfère s’en tenir à ce qu’elle connait et rejette ce besoin d’ailleurs. Sa profession de marieuse, pardon elle tient une agence matrimoniale, la relie au passé (les marieuses étaient monnaie courante) mais également au futur. Pour elle un langage classique avec quelques mots fleurant bon son Poitou. « À ses yeux, Paris brillait d’un soleil continu, desséchant quelque fût l’heure, jour, nuit ; tout étincelait comme une bassine à confiture, et la gourmandise y avait cuit à petit feu toute la journée, le soir, on la suspendait, cuivrée, à son clou… » Les jumeaux représentent ces années 50-60, lien entre un passé rural, les pieds dans la terre et un futur urbain, et voyageur.
Ce qui m’a plus dans ce livre, c’est encore la plume de Lionel-Edouard Martin que j’avais découverte avec « Nativité cinquante et quelques » qui se déroulait également dans ces années. « Mousseline et ses doubles » est plus ancré dans la réalité, mais la poésie est toujours aussi présente.
Les « héros » de Lionel-Edouard Martin ne sont pas causants, c’est le moins que l’on puisse dire, dur au travail qui permet de cacher les peines. Ils sont très attachants, humains, vrais, aimables. Marielle aura eu plusieurs « vies ». Malgré tous ces chagrins, elle fait face et garde toujours au fond d’elle-même cette petite flamme qui lui permet d’avancer et prendre sa petite part de bonheur
Son écriture ? Un mélange de classicisme et de modernité, et oui, pareil à ses personnages ! avec beaucoup de gourmandises dans les mots. Très évocatrice, sensible et poétique, elle suggère les odeurs, les images, comme ces cinéastes qui, pour évoquer une scène d’amour, vont nous montrer un arbre, le soleil ou que sais-je. Tout est dans l’évocation. Mais il sait aussi être le peintre impressionniste qui donne à voir la vie rurale et parisienne de cette époque.
Je m’étais régalée avec « Comment lutter contre le terrorisme islamiste dans la position du missionnaire » du même éditeur et noté d’autres ouvrages sur leur site pour une future lecture. Une maison d’édition indépendante qui joue la qualité des auteurs et des ouvrages.
Comme dans ces natures mortes où Chardin montre –exhibe– un lièvre tué, une raie, des huîtres ouvertes auxquelles donne un coup de patte friand la minette couleur écaille de tortue près de la cruche, du plateau, du canif, de la miche de pain. Elle me plait, cette manière de rassembler la vie, la mort dans un espace aussi limité.
Comme on dit par chez nous, c’est point écartable ! On n’a jamais vu personne se perdre dans Paris ! Sans compter qu’on ne va pas te manger : y a trop partout de bouftance pour que les gens s’entre-dévorent.
Fais-moi juste confiance : je ne te trahirai pas sur le fond. Mais la forme demande parfois des fantaisies de compositeur.
C’était même bien facile de circuler dans ces galeries souterraines avec les autres courtilières et les mulots (en parlant du métro)
Ainsi va la mort, et les morts poussent les morts envieux de leur place.
Ici, l’automne, passée la Saint-Martin, ce sont des pluies interminables et continuelles, où les herbages reverdissent malgré la clarté faible, embrumée de stratocumulus dont le pis touche la terre comme celui des vaches au retour des pâtures, et dépose des impressions laiteuses aux branches des arbres hauts, ponctuées encore de feuilles mortes, et noires, et gluantes, où s’exprime cette pourriture dont s’empreint le pays jusqu’en mars.
Il était lourd, dans le fossé, à trois cents mètres du véhicule. Lourd de toute sa densité d’homme mort.
Et toi marmoréenne.
« Ni crier, ni pleurer, le ventre dur.
« Agenouillée près de lui.
« Il était sur le dos, je lui embrassais le visage, l’appelais « Mon petit », éclatant de rire, puis sombrant.
« C’était rien, c’était rien.
« J’ai tenté de le prendre dans mes bras, de le bercer.
« Mais il était trop lourd dans son fossé. Trop lourd de tout son poids d’enfant.