Lyonel Trouillot - Parabole du failli
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Parabole du failli
Lyonel Trouillot
Actes Sud
Août 2013
192 pages
ISBN 978-2-330-02262-4
4ème de couverture :
Alors qu’il semble enfin devoir connaître le succès, Pedro, un jeune comédien haïtien en tournée à l’étranger, se jette du douzième étage d’un immeuble. Dans son pays natal, l’un des deux amis avec lesquels il partageait au hasard des nuits un modeste appartement aux allures de bateau-ivre tente alors, entre colère et amour, de comprendre les raisons de ce geste, au fil d’une virulente adresse au disparu, comme pour remplir de son propre cri le vide laissé par celui qui déclamait dans les rues de Port-au-Prince les vers de Baudelaire, Éluard ou Pessoa, faute de croire aux poèmes que lui-même écrivait en secret et qu’il avait rassemblés sous le titre : “Parabole du failli”.
Un homme est tombé, qui n’avait pas trouvé sa place dans le monde d’intense désamour qui peut être le nôtre : dans l’abîme que crée sa disparition s’inscrit l’échec du suicidé mais aussi de celui qui reste, avec sa douleur et ses discours impuissants. À travers ce portrait d’un homme que le terrifiant mélange du social et de l’intime a, de l’enfance au plongeon dans le vide, transformé en plaie ouverte au point de le contraindre, pour être lui-même, à devenir tous les autres sur la scène comme dans la vie, Lyonel Trouillot, dans cette nouvelle et bouleversante “chanson du mal-aimé”, rend hommage à l’humanité du désespoir, à l’échec des mots qui voudraient le dire mais qui, même dans la langue du Poète, ne parviennent jamais à combler la faille qui sépare la lettre de la réalité de la vie.
Lyonel TROUILLOT
Romancier et poète, intellectuel engagé, acteur passionné de la scène francophone mondiale, Lyonel Trouillot est né en 1956 dans la capitale haïtienne, Port-au-Prince, où il vit toujours aujourd’hui. Son œuvre est publiée chez Actes Sud.
Récemment : La Belle Amour humaine (Actes Sud, 2011, Grand Prix du roman métis 2011) et Parabole du failli (2013).
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« Une gueulante d’amour et de détestation qui se passe de ponctuation » voici ce que contient le livre de Lyonel Trouillot. Une longue lettre d’adieu, d’amour, de vie et de mort à leur ami Pedro qui, parti avec une troupe de théâtre à Paris, aura le mauvais goût de s’y défenestrer.
Ils étaient trois amis qui partageaient une même infortune. Pedro était le plus disert, racontant ses malheurs, sans jamais s’étonner du silence des deux autres. Pourtant, l’Estropié avait de la matière avec son père surnommé « le méchant ». Le narrateur aurait pu parler de ses parents morts lorsqu’un camion fou a dévalé la pente alors qu’ils revenaient du travail. Du jour au lendemain, il s’est retrouvé seul et encore gamin. Pedro, « Un simple porteur des mots des autres », parlait, parlait, allait vers les autres, leur jouait une comédie pour les faire rire, distribuait les pages d’un livre de poésie. Pedro, encore, Pedro, toujours Pedro parlant, gueulant, mais à tant parler, ne cachait-il pas, justement, son mal-être ? A tant parler, il n’y a plus de place pour les questions des autres.
Le narrateur, dans ce long monologue à Pedro, se raconte, raconte l’Estropié, la misère de leurs vies, la misère des haïtiens. « Toutes ces choses que nous ne t’avons pas dites » C’est un long cri d’impuissance, de rage, de détresse, d’amour et d’amitié. On écoute, on parle, mais écoutons-nous l’autre ? L’incommunicabilité est très présente dans ce livre malgré l’amitié très forte qui unit les 3 amis.
Lyonel Trouillot s’entoure de poètes, paroliers pour crier la mort inévitable, la vie, le manque, l’amitié, la douleur, la misère. Un cri pour essayer de comprendre pourquoi les mots ne peuvent pas sauver.
La langue somptueuse de Lyonel Trouillot donne corps à tous ces âmes habitant en bas de la colline, les sans grades, les miséreux dont on ne parle pas souvent, alors que leurs vies sont tout aussi importantes. La mise en scène de l’Estropié, lors de la cérémonie d’adieu à Pedro, est superbe.
Lyonel Trouillot m’a envoutée avec son livre. Les écrivains haïtiens, Jacques Roumain, Gary Victor ont une poésie dans l’écriture qui me transporte.
Merci Sandrine pour ce prêt. Là aussi, j'aimerais "oublier" de te le rendre. Tu n'es pas entrée dans cette lecture et pourtant, tu en parles si bien.
Ici, nous t'aurions rattrapé avant que ton corps touche le sol. Ici, on a appris à amortir les chutes. Et puis, où t'aurais trouvé un immeuble de douze étages! Même les banques et ces saletés de compagnies qui détiennent des monopoles n'en construisent pas de si hauts. Ici, on est déjà par terre et personne ne tombe dans le vide. Nous t'aurions rattrapé. Et puis, toi qui parlais tout le temps, tu aurais pu nous dire. Nous t'aurions suivi. Nous aurions monté la garde autour de toi. Comme ce soir où tu es parti en titubant. Nous savions que ce soir-là nous ne devions pas te laisser seul. Ton père t'avait encore traité de honte de la famille. Mais ce n'est pas la honte que tu portais en toi quand tu courais dans les rues en criant : "Le désespoir est une forme supérieure de la critique."
Tellement perdu dans lui-même et éloigné de sont territoire qu’il ne pose pas de question et croit qu’il est le seul à vivre de tourments. Qu’importe. Vous pardonnez à sa douleur d’être bavarde comme l’égotisme
Choisir un ami, c’est choisir ses faiblesses, sa part d’ignorance
Mais c’était ça Pedro, tu allais vers les autres plus vite que les autres. Et quand on choisit un ami, on choisit aussi ses faiblesses. L’Estropié et moi nous sommes adaptés à ton rythme.
Le deux-pièces, c’était notre bateau. Tu es monté dans le bateau et, le troisième soir, avant de vider la bouteille nous tanguions déjà tous les trois. La mer, ça épuise.
Nous n’avons pas eu le temps de te dire que c’est toujours une faute de se prendre pour une exception.
Dans la vie, c’est ainsi, il est des lieux où les choses sont en trop et d’autres où elles n’existent jamais en quantité suffisante. Au pays de l’insuffisance, on est condamné à l’astuce, aux stratégies d’adaptation.
Je t’en veux de t'être trompé de désespoir. A chercher mal. A rater tes Josette à toi. Mais je ne t’en veux pas d’avoir désespéré. Rien n’est fade et vilain comme les gens qui ne désespèrent pas.