Jacques Roumain - Gouverneurs de la rosée
-
Jacques Roumain
Gouverneurs de la rosée
224 pages
Novembre 2013
ISBN : 9782843046636
4ème de couverture :
« Tout le monde a été touché par les amours de Manuel et d’Annaïse. Aux citadins haïtiens et aux lecteurs étrangers, le roman a révélé la vie paysanne, qu’ils ignoraient autant les uns que les autres. Les évocations du paysage haïtien ont enchanté ; la vieille Délira a éveillé la compassion ; les ronchonnements de Bienaimé ont amusé ; les trouvailles linguistiques de Roumain ont suscité l’admiration. On pourrait presque dire que la critique a été unanime, d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique, à élever Gouverneurs de la rosée au rang de chef-d’œuvre. » Léon-François Hoffmann
Ce volume contient également : Jacques Roumain vivant par Jacques Stéphen Alexis
========
Biographie de Jacques Roumain :
Né le 4 juin 1907, à Port-au-Prince dans une famille aisée., il meurt le 18 août 1944. Son grand-père, Tancrède Auguste, fut président d'Haïti de 1912 à 1913. Il fut cocréateur de "La Revue Indigène" avec Émile Roumer, Philippe Thoby-Marcelin, Carl Brouard et Antonio Vieux, dans laquelle ils publièrent des poèmes et des nouvelles. Très actif dans la lutte contre l'occupation américaine d'Haïti (1915-1934). En 1934, il fonda le Parti communiste haïtien.
========
Compères, commères, cousins, cousines, amis, ennemis, tous vivent dans ce village délaissé où les sources ont tari suite à déboisement outrancier. Les nuages, la pluie bienfaitrice ne répondent pas aux prières des dieux. Les plus riches, les mieux nantis, les plus voleurs, comme les charognards, attendent que, perclus de dettes, les paysans n’aient d’autres solutions que de vendre leur tout petit carreau de terre, pour le racheter à vil prix.
Manuel, nègre natif natal de Fonds-Rouge, fils de Délira et Bienaimé, revient au pays après avoir passé une quinzaine d’années dans un batey dominicain, plus proche de l’esclavagisme que du travail agricole « Tuer un Haïtien ou un chien, c’est la même chose disent les hommes de la police rurale : de vraies bêtes féroces ». Il ne reconnait plus le paysage. Temps longtemps, le petit-mil, le maïs et autres légumes poussaient, arrosés par les rigoles gérées par un mèt lawouze que Jacques Roumain aurait transformé en Gouverneurs de la rosée. « À Mahotière, disait-elle, nous avons de l’eau, nous autres. Mais pour les jardins, l’arrosage n’est même pas nécessaire. La fraîcheur suffit, la rosé »e du matin. Au réveil, tout est brillant et mouillé. Faut voir ça : c’est comme une écume de soleil ».
Manuel part à la recherche de l’eau. En chemin il trouvera l’amour en Annaïse, fille du clan ennemi. Le télégueule a propagé la nouvelle : Manuel a trouvé une source ! Il veut profiter de cette aubaine pour faire cesser les rivalités entre familles, réunir toutes les bonnes volontés et relancer le coumbite qui pourrait être le ciment de leur communauté. comme tu temps de la jeunesse de Delira et Bienaimé ses parents.
En mélangeant un français pur et la langue de chez lui, Jacques Roumain nous offre un livre fort, poétique avec de sublimes descriptions. Ses portraits de la vie paysanne quotidienne confinent à l’ethnologie. A la fois politique et onirique, Gouverneurs de la rosée est une œuvre passionnante, foisonnante, humaine, habilement politique. Chaque page lue est un ravissement. Petite précision ; ce livre écrit en 1944 et se trouve, malheureusement, encore d’actualité
Il y a du Pagnol (Manon des sources), du Shakespeare (Roméo et Juliette) dans cette œuvre, je pèse mes mots. Comme l’écrit Jacques Stephen Alexis : « le roman est une espèce de grand poème populaire aux contours classiques et aux personnages quasi symboliques et plus loin : « Peut-être est-ce le livre qui contient le message essentiel de Roumain, message que la vie ne lui a pas permis d’illustrer personnellement ? Jacques Roumain a écrit un livre qui est peut-être unique dans la littérature mondiale parce qu’il est sans réserve le livre de l’amour. »
Que dire d’autre !
Je suis en face d’un coup de cœur et je remercie chaleureusement et les Editions Zulma pour cette lecture si passionnante.
Ecoutez l’interview de Laure Leroy Editrice de Zulma sur Libfly.
« -Le Seigneur, c'est le créateur, pas vrai ? Réponds : Le Seigneur, c'est le créateur du ciel et de la terre, pas vrai ?
Elle fait : oui ; mais de mauvaise grâce.
- Eh bien, la terre est dans la douleur, la terre est dans la misère, alors le Seigneur c'est le créateur de la douleur, c'est le créateur de la misère. »
Vers les onze heures, le message du coumbite s’affaiblissait : ce n’était plus le bloc massif de voix soutenant l’effort des hommes ; le chant hésitait, s’élevait sans force’, les ailes rognées. Il reprenait parfois, trouvé de silence, avec une vigueur décroissante. Le tambour bégayait encore un peu, mais il n’avait plus rien de son appel jovial, quant à l’aube, le Simidor le martelait avec une savante autorité.
Si l’on est d’un pays, si l’on y est né, comme qui dirait : natif-natal, eh bien, on l’a dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses rivières, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes.
Du levant au couchant, il n’y a pas un seul grain de pluie dans tout le ciel : alors est-ce que le bon Dieu nous a abandonnés ?
- Le bon Dieu n’a rien à voir là-dedans.
- Ne déparle pas, mon fil. Ne mets pas de sacrilèges dans ta bouche.
La vieille Délira, effrayée, se signa.
Je ne déparle pas, maman. Il y a les affaires du ciel et il y a les affaires de la terre : ça fait deux et ce n’est pas la même chose. Le ciel, c’est le pâturage des anges ; ils sont bienheureux ; ils n’ont pas à prendre soin du manger et du boire. Et sûrement qu’il y a des anges nègres pour faire le gros travail de la lessive des nuages ou balayer la pluie et mettre la propreté du soleil après l’orage, pendant que les anges blancs chantent comme des rossignols toute la sainte journée… Mais la terre, c’est une bataille jour pour jour, une bataille sans repos : défricher, planter, sarcler, arroser, jusqu’à la récolte, et alors tu vois ton champ mûr couché devant toi le matin, sous la rosée, et tu dis : moi untel, gouverneur de a rosée, et l’orgueil entre dans ton cœur. Mais la terre s’est comme une bonne femme, à force de la maltraiter, elle se révolte : j’avais vu que vous aviez déboisé les mornes. La terre est toute nue, sans protection. Ce sont les racines qui font amitié avec la terre et la retiennent : ce sont les manguiers, les bois de chênes, les acajous qui lui donnent les eaux des pluies pour sa grande soif et leur ombrage contre la chaleur de midi. C’est comme ça et pas autrement, sinon la pluie écorche la terre et le soleil l’échaude : il ne reste plus que des roches. Je dis vrai : c’est pas Dieu qui abandonne le nègre, c’est le nègre qui abandonne la terre et il reçoit sa punition : la sécheresse, la misère et la désolation.
Les uns plantent, les autres récoltent. En vérité, nous autres le peuple, nous sommes comme la chaudière ; c’est la chaudière qui cuit tout le manger, c’est elle qui connaît la douleur d’être sur le feu, mais quand le manger est prêt, on dit à la chaudière : tu ne peux venir à table, tu salirais la nappe.
La haine, la vengeance entre les habitants. L'eau sera perdue. Vous avez offert des sacrifices aux loa, vous avez offert le sang de poules et des cabris pour faire tomber la pluie, ça n'a servi à rien Parce que ce qui compte c'est le sacrifice de l'homme. C'est le sang du nègre. Va trouver Larivoire. Dis-lui la volonté du sang qui a coulé : la réconciliation, la réconciliation pour que la vie recommence, pour que le jour se lève sur la rosée.