Lola LAFON - La petite communiste qui ne souriait jamais

 

La petite communiste qui ne souriait jamais

Lola Lafon

Editions Actes Sud

Janvier, 2014

320 pages

ISBN 978-2-330-02728-5

 

 

4ème de couverture :

 

Parce qu’elle est fascinée par le destin de la miraculeuse petite gymnaste roumaine de quatorze ans apparue aux jo de Montréal en 1976 pour mettre à mal guerres froides, ordinateurs et records au point d’accéder au statut de mythe planétaire, la narratrice de ce roman entreprend de raconter ce qu’elle imagine de l’expérience que vécut cette prodigieuse fillette, symbole d’une Europe révolue, venue, par la seule pureté de ses gestes, incarner aux yeux désabusés du monde le rêve d’une enfance éternelle. Mais quelle version retenir du parcours de cette petite communiste qui ne souriait jamais et qui voltigea, d’Est en Ouest, devant ses juges, sportifs, politiques ou médiatiques, entre adoration des foules et manipulations étatiques ?
Mimétique de l’audace féerique des figures jadis tracées au ciel de la compétition par une simple enfant, le romanacrobate de Lola Lafon, plus proche de la légende d’Icare que de la mythologie des “dieux du stade”, rend l’hommage d’une fiction inspirée à celle-là, qui, d’un coup de pied à la lune, a ravagé le chemin rétréci qu’on réserve aux petites filles, ces petites filles de l’été 1976 qui, grâce à elle, ont rêvé de s’élancer dans le vide, les abdos serrés et la peau nue.

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Encore une fois, une suite logique entre deux livres lus : Ce titre, « La petite communiste qui ne souriait jamais » et « le garçon incassable » de Florence Seyvos où il est question de Buster Keaton, l’homme qui ne rit jamais. Par contre, Nadia a fait de ces saltos arrières un art jamais égalé.

Nadia Comencini est une gymnase hors pair. À la lecture de ce livre, je découvre le traitement que nos athlètes qualifieraient d’inhumain mais qu’elle a accepté car c’était dans son contrat. Bela, son entraîneur les surveillait nuit et jour, pesait leur nourriture, les sous-alimentait. « Ce qu’elle porte à la bouche est recalculé. Cent grammes de viande à midi et cinquante grammes le soir apportent environ quatre cents calories, des légumes aux repas, deux cent gramme chaque fois : cent vingt calories. Trois yaourts par jour : cent quatre vingts. Et des fruits, peut-être trois : cent cinquante. Ni pain, ni féculents, ni sucre évidemment. Pensez à tracer un trait sur la bouteille d’huile qu’utilise Silvana, la cuisinière ; si elle dépasse les cinquante millilitres prévus par jour, tous les calculs seront faussés. »

Nadia Comencini a été idolâtrée tant qu’elle était une sorte d’éphèbe sans forme féminine, une petite poupée de porcelaine. Plus tard, lorsqu’elle est devenue comme les autres, une jeune fille avec des seins et un cul, les hommes ont crié à la tromperie. « Tout ça, seins, hanches, explique un spécialiste lors d'une retransmission, ça ralentit les tours, ça plombe les sauts, c'est moins propre comme ligne. »

Nadia Comencini a été un corps, uniquement un corps que son entraîneur modelait, un corps que les arbitres notaient, un corps que les commentateurs ont adoré, un corps que les fillettes ont envié, un corps qu’ils ont détesté, criant au scandale, à la tromperie lorsqu’elle en a eu terminé avec le petit éphèbe ; un corps dont a usé le roitelet. Un corps qui ne parlait pas

Nadia Comencini est entrée en gymnastique comme l’on entre dans les ordres, avec abnégation, pour servir ce sport. C’est également comme guerrière qu’elle s’entraîne pour assouplir son corps, pour arriver là où elle veut, faire sauter les barrières, voler, se jouer de l’apesanteur et gagner. Oui, ses succès ont servi la Roumanie, mais, à 14 ans, pouvait-elle le comprendre ?

Derrière la gymnase, Lola Lafon nous parle de la Roumanie qu’elle connait pour y avoir vécu.

Oui, il y avait les délations ; oui, les gens ne pouvaient voyager comme ils voulaient ; oui, Ils étaient filés, écoutés, surveillés. Oui, il y avait des files d’attente…. Certaines de ses phrases me ramenaient à notre guide lorsque nous visitions l’URSS.

Notre Occident avec les portables, les GPS qui nous suivent à la trace. Facebook, l’oiseau gazouilleur, ne nous suivent-ils pas à la trace, n’épient-ils pas tous ce que nous écrivons et, cerise sur le gâteau, le décortiquent minutieusement pour tout connaître de nous. Nos mannequins anorexiques (tiens, actuellement, elles viennent souvent de l’Est !), nos concours de mini-miss, notre monde mercantile est-il plus brillant que l’ancien bloc de l’Est ? C’est cette ambivalence dont nous parle Lola Lafon, sans pour autant trancher.

Lola Lafon amène la comparaison entre Nadia Comencini, sorte de « Jeanne d’Arc » et Brooke Shields ou Jodie Foster, outrageusement sexploitées dans leurs films respectifs. On a gaussé de la manipulation par les dirigeants des exploits de la jeune fille, mais il me semble que les U.S.A. n’ont pas été en reste lorsque Nadia a fui la Roumanie pour ce pays.

L’auteur n’évite pas la montée de la folie du couple Ceausescu avec cette fouille à corps de toutes les femmes en âge d’être enceinte « C’étaient des hommes, ces docteurs qu’on payait pour surveiller l’utérus des femmes. Des hommes, ces contremaîtres qu’on récompensait si un nombre important de leurs ouvrières étaient enceintes. Des miliciens, dans les hôpitaux, avaient l’ordre de lire les dossiers des femmes, afin de repérer celles qui étaient enceintes de quelques semaines, pour les empêcher d’avorter » Nadia était au milieu de tout ça et elle prenait des coups des deux côtés, surtout lors de son « idylle » avec le fils de…

Un livre rythmé, maîtrisé, avec des chapitres courts avec des titres, « biomécanique d’une fée communiste », « Les managers de l’ouest », « marketabilité »… très explicites. La fausse correspondance avec Nadia nous permet une plongée dans la vie de l’athlète. Les recherches que Lola Lafon a menées en amont permettent une fiction qui ne doit pâs être loin de la vérité.

Lola Lafon a reçu le prix de la Closerie des Lilas et fait partie des livres sélectionnés pour le prix du Livre Inter.

Merci Francoaz de l'avoir fait voyager. Maintenant Nadia va rejoindre Florence

Ils en parlent également : Alex - Clara - SentinelleTraversay - Aifelle -

Quelques extraits :

Nadia plonge, sa jambe en arabesque derrière elle, un long soupir tracé au pinceau. Puis, son pied droit pointé devant, elle se détourne des mortes, des battues, tous ces sanglots de filles fracturées, et posément aligne - flic flac - les cartes de mauvais sort retournées, vaincues, une fois de plus, elle les salue, ils sont debout, follement aimants, bouleversés d'avoir goûté à l'odeur terrible d'un mauvais sort repoussé.

Ce qu’elle accomplit, ce jour-là, personne ne sera capable de le raconter, ne restent que les limites des mots qu’on connaît pour décrire ce qu’ on n’a jamais imaginé.

Le lendemain, lorsque je lui demande comment elle explique l’obéissance absolue des gymnase, elle parait gênée par ce mot, obéissance : « C’est un contrat qu’on passe avec soi-même, par une soumission à un entraîneur. Moi, c’étaient les autres filles, celle qui n’étaient pas gymnases que je trouvais obéissantes. Elles devenaient comme leur mère, comme toutes les autres. Pas nous.

On lui bande les chevilles. Son tendon d’Achille est gonflé et forme une excroissance protégée d’une mousse retenue d’un scotch, stigmate des nombreuses fois où elle a heurté la barre la plus basse du pied. Ses genoux s’infiltrent de liquide, une réaction aux chocs répétés, ses rotules se couvrent de corne. Il faut veiller à ce que les ampoules ouvertes de ses paumes ne s’infectent avec la poussière du sol et la magnésie.

Ça va vous choque, je connais les certitudes de vos supposées démocraties libérales à ce sujet… mais il y avait une sorte de… joie dans les années 1970, ce qui ne change rien au reste, évidemment. Je déteste ces films et les romans qui parlent de l’Europe de l’Est, tous ces clichés. Les rues grises. Les gens gris. Le froid.

Essayons de ne pas faire de ma vie ou de ces années-là un mauvais film simpliste.

Chez nous, on n’avait rien à désirer. Et chez vous, on est constamment sommés de désirer.

Vous savez ce que je ne pardonne pas à vous autres, Occidentaux ? En 1974, l’ONU à propos à la Roumanie de présider la conférence mondiale sur la population au prétexte que nous avions su « résoudre la crise démographique » ! Alors Nadia, vous comprenez, même si elle n’y était pour rien, elle faisait partie de ça, cette publicité incessante pour l’Enfant modèle. Et l’ironie c’est que, dès qu’elle a grandi, Nadia n’y a pas échappé, elle a été « inspectée » comme nous toutes par la « police des menstruations », ces médecins qui nous auscultaient chaque mois sur notre lieu de travail et nous pressaient de faire des enfants, encore.

"Chère Nadia. Tu étais mmmmm quand tu faisais ce geste de la main à la fin de ton exercice au sol. Mon chaton mécanique. Aujourd'hui, la Nadia, elle a dix-huit ans, elle porte un soutien-gorge et doit se raser les aisselles", conclut l'éditorialiste du Guardian, dans son article daté de juillet 1980.

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J
Merci pour vos commentaires. Voici les miens: http://la-petite-communiste.blogspot.com
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Z
Ce n'est ni une biographie, ni un biopic
J
[réponse au message de zazy du 14/01/2017] J'ai aimé les aspects purement littéraires du roman, par exemple les descriptions de Bucarest. Par contre, j'ai été choqué (le mot est faible) qu'un écrivain prenne la liberté d'écrire un tel livre sans contacter auparavant l'intéressée. Dans quelle société vivons-nous ? Et vous, que penseriez-vous si quelqu'un écrivait votre biographie, romancée ou non, sans vous prévenir ?
Z
N'ayant pas de compte gogol, je ne peux laisser un commentaire sur votre site. Vous avez fait beaucoup de recherches pour commenter ce livre, beau travail. En final, l'avez-vous aimé ? c'est pour moi le principal
M
Je voulais déjà le lire mais ce que tu en dis me tente et m'intrigue encore plus !! Merci Zazy, je le lirai !!
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Z
J'espère que tu passeras de bons moments avec Nadia et Lola
A
J'ai aimé dans ce roman que le personnage garde tout son mystère.
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Z
Oui, j'ai lu sur ton blogue que cette fin t'avait plu. J'ai également apprécié qu'il n'y ait pas une fin à l'américaine, mais une suite de sa vie
B
Je viens de le lire, et j'ai vraiment beaucoup beaucoup aimé. J'en conseille la lecture à tous ceux à qui j'en parle.
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Z
Tu as entièrement raison, je le fais aussi
S
Je suis très impressionnée par ton billet Zazy, il est poignant et franchement, j'ai de plus en plus envie de lire ce livre qu'on m'a offert récemment. C'est décidé je le commence juste après celui que je suis en train de lire.
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Z
Merci beaucoup, d'autant que j'ai peiné à trouver le début, tant de blogueurs avaient déjà commenté ce livre
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