Florence Seyvos - Le garçon incassable
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Le garçon incassable
Florence Seyvos
Editions de l’Olivier
02 mai 2013
176 pages
ISBN : 9782879297859
4ème de couverture :
«Ce matin, elle a la chambre d'hôtel pour elle toute seule. Elle est à Los Angeles.»
Lorsqu'elle arrive à Hollywood pour y mener des recherches sur la vie de Buster Keaton, elle ne sait pas encore que son enquête va la conduire au plus près d'elle-même, réveillant le souvenir d'Henri, ce frère «différent» qui l'a accompagnée pendant toute sa jeunesse.
Henri et Buster ont en partage une enfance marquée par des expériences physiques très brutales, une solitude inguérissable, une capacité de résistance aux pires épreuves, une forme singulière d'insoumission. Et une passion pour les trains. À travers leur commune étrangeté au monde (ne passent-ils pas tous deux pour des idiots ?), et cette fragilité qui semble les rendre invulnérables, Henri et Buster sont peut-être détenteurs d'un secret bouleversant.
C'est ce mystère qu'éclaire Florence Seyvos dans ce roman dense et subtil.
Florence Seyvos est née en 1967 à Lyon. Elle a passé son enfance dans les Ardennes et vit à présent à Paris. Écrivain, scénariste, Florence Seyvos est notamment l'auteur de Les Apparitions (L'Olivier, 1995), qui lui a valu le Goncourt du premier roman et le prix France Télévisions.
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Un roman doux, subtil. La narratrice se dévoile plus qu’elle ne le pense à travers ses recherches sur Buster Keaton et, par esprit d’escalier, vers son demi-frère, plutôt, le fils du second mari de sa mère. Henri, tel est son prénom.
Portraits croisés de deux « amochés » ? non, de deux personnages hors du commun. Keaton, le petit garçon qui, suite à une chute mémorable, se voit surnommer Buster. Il fera de la chute son art et deviendra une grande star du muet. Henri, prognathe au développement mental interrompu, tenu d’une main très ferme par son père qui, chaque soir, dort dans un harnachement bizarre.
Ils ont plusieurs choses en commun. Un père omniprésent et aimant malgré ce qu’ils infligent à leurs enfants. Les deux se trouvent toujours sous le regard des autres. Leur fragilité qu’ils cachent mais qui est si présente et si visible, leur solitude au milieu des autres de par leurs différences. Leur propre normalité qui nous questionne sur nos normes. Ils ont également ce que Florence Seyvos appelle « petit noyau réfractaire » et qui s’appelle dignité, qui est leur beauté humaine.
Tandis que Buster ira de contrats en contrats, de films en films, ce que fera le mieux Henri, c’est attendre. C’est ce que lui dit tout le temps son père : attends. Puis, le destin de Buster déclinera tandis qu’Henri entrera dans un CAT et prendra son indépendance.
Florence Seyvos évoque ce frère qu’elle aime, qu’elle protège sans aucune sensiblerie mais avec beaucoup de sensibilité. Elle attire notre regard sur Buster Keaton qui, pour moi, n’était qu’un rigolo du muet, sans plus. Un beau roman profond et humain sur l’attention que nous portons aux autres, notre regard sur les différences, que j’ai aimé lire.
Merci Pasdel pour ce livre-voyageur. D'autres billets : Clara - Libfly - Kathel -
Quelques extraits :
"Le père d’Henri dit : « les enfants, il faut les casser ». Il pense sincèrement qu’on ne peut élever un enfant sans le casser, qu’il n’y a pas d’autre solution. Pas simplement plier, casser. Il faut entendre le craquement de la tige de bois que l’on ferme sur elle-même, à deux mains, d’ un coup sec."
"Henri s’est cassé tout seul, quelques heures après sa naissance. C’était un beau bébé dodu de plus de trois kilos. Et tout à coup, un vaisseau s’est rompu dans sa tête. Le sang lui pissait par les yeux et les oreilles, et son avenir, en une fraction de seconde, venait de changer totalement de route."
"Il bascule, la tête en avant, et puis il roule, bong, bong, bong, jusqu’en bas. Cet escalier est interminable."
"Dans le monde du spectacle, a buster, c’est une chute, une chute spectaculaire. Joseph ne le sait pas encore, mais il vient de changer de nom. A partir de ce jour d’avril 1896, plus personne ne l’appellera jamais Joseph, ni ses parents, ni ses futurs compagnons de travail, ses amis, ses compagnes. Désormais, il s’appellera Buster."
"Mais le chagrin, Henri, où le mets-tu ? Tes yeux ne pleurent jamais. La tristesse semble ricocher sur toi. Je sais qu’en entre pourtant, filtrée par ta vision du monde. Alors, dans quel recoin de toi-même l’enfermes-tu ?"
"La main qui tient la poignée dans son dos est si puissante, et lui-même semble si frêle qu’on le voit déjà fracassé. Et pourtant, au cœur de sa nature de projectile, se tien son étrange détermination, son petit noyau réfractaire, et plus il ressemble à un objet, plus il devient humain"
"Nous n’en revenons toujours pas de la simplicité avec laquelle nous sommes passés de l’empathie terrifiée à notre nouveau rôle de caporal-chef"
"Il y a des gens qui traversent la vie en se faisant des amis partout… tandis que d’autres ne font que traverser la vie."