Lionel-Edouard Martin - Nativité cinquante et quelques
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Nativité cinquante et quelques
15 novembre 2013
230 pages
ISBN : 9782917094105
4ème de couverture :
Un soir de Noël, dans les années cinquante : Maît’Louis, un vieux rebouteux usé par les maux de tous ceux qu’il a guéris, guette au crépuscule, au seuil de sa vieille demeure, d’importants visiteurs. Grâce à son éolienne, savamment installée par Jean Dieu, le boulanger, il enguirlande de lumière le grand marronnier, seul repère visible par les passagers de l’Ariane partis, bravant la tempête de neige, en quête d’un médecin pour soigner leur nourrisson et leur imposante tante matriarche. Happés par la nuit, ils s’égarent sur les routes de cette âpre campagne…
La langue de Lionel-Édouard Martin, toute de matières et de saveurs, sert à merveille un récit magnifique qui n’est pas sans évoquer un étonnant conte de Noël.
Lionel-Edouard Martin est né le 10 novembre 1956 à Montmorillon, en vieille terre de Poitou. Après des études de lettres, il fait carrière dans la diplomatie culturelle et l’enseignement supérieur. Il vit actuellement en Martinique.
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Nous sommes dans les années cinquante dans une campagne française à Villemort, aux confins de la Vienne pas loin de la Creuse, en plein hiver, un hiver avec son lot de neige. Après tout, n’est-ce pas normal puisque nous sommes bientôt à Noël ?
Il y a Jean Dieu, le boulanger. Etre boulanger et s’appeler Jean Dieu, n’est-pas biblique ? Dans le village, tout le monde l’appelle le Boulanger « On l’appelait Boulanger, et le tutoyait comme du bon pain ». Faire du pain est sa passion. La rue sentait le pain. Les hommes, mécréants devant Dieu, leurs épouses le savent très bien, elle qui vont à la messe tous les dimanches que Dieu fait –attention à ne pas se mélanger, il y a une très grande différence entre Dieu et Dieu !-, faisaient à chaque fois la même blague en demandant une hostie pas trop cuite et à la réponse négative de la jeune vendeuse continuait dans le même registre « ben, dans ce cas, mets-moi donc un corps du Christ ». Vous imaginez la tête des bigotes attendant d’être servies. Mais, bon c’était bon enfant (de chœur).
Nous faisons la connaissance de Maît’Louis. C’est ainsi que l’on appelait Louis, Désiré, Dieudonné Maître ; un enfant de vieux, chétif qui, un soir d’orage, reçut le don de guérir. Oui, cet enfant malingre, voué au bleu, à la Vierge Marie, Maît’Louis est rebouteux. Il prend le mal des autres, les guérit « … Guérisseur, un bien curieux, non pas métier, mais sacerdoce. Ça ne rapporte rien –sauf le peu qu’on vous donne- et ça demande une qualité rare. Il faut être bon et Maît’Louis est un homme bon ». Il est perclus des entorses, rhumatismes, déformations… qu’il a soignés. Mais, il ne le peut plus, ne le veut plus
Dans nos campagnes, les gens ont souvent un surnom. Ici, La Vache. Une femme grosse, très grosse même, voire énorme qui habite un appartement sous les toits avec un jeune couple « Elle n’y vivait pas seule. Elle avait son monde à domicile : ses vachers comme les appelait la mauvaiseté publique » Pour les différencier, il y a le Mon Filleul et la Ma Filleule ainsi que le Zan, leur enfant en bas âge. Zan a de la fièvre, beaucoup de fièvre. J’allais oublier Ariane qui s’avèrera très utile pour sortir de leur labyrinthe.
Par un beau mauvais jour le Boulanger ne peut plus sortir de son lit. Cloué sous son gros édredon qu’il est, tout ça à cause d’une sciatique qui l’empêche de se lever. Cinq jours sans pain ; à la fin les journées commencent à être longues et tristes…. comme des jours sans pain. Maît’Louis va à son secours, malgré ses « plus jamais ». Il lui prend son mal et voici Jean Dieu requinqué comme un jeune homme. Louis, Désiré, Dieudonné Maître repart « Chaque marche est un calvaire. Un serpent qui mue c’est une extrême fatigue, on dit, pour la bête. Maît’Louis est un serpent qui mue, le reptile travaillé par sa peau. »
Et toujours, au long des pages, cette antienne : ils vont venir, je les attends, je sais qu’ils vont arriver. « Cette certitude qu’ils vont venir. Pas qu’ils viendront : qu’ils vont venir. Ce soir même et pas un autre soir. Ce sont des choses qui s’éprouvent, personne ne pourrait les expliquer. » Mais QUI ? Pourquoi Maît’Louis fait-il installer ces guirlandes dans l’arbre dénudé, pourquoi attend-il sur le perron sous la neige, lui qui est si faible ? QUI oserait braver la tempête de neige ? Maît’Louis lui, sait. On ne lui a rien dit, mais il SAIT. Il sait qu’il aura des invités ce soir en cette période de Noël.
Comme le spoutnik soviétique dont parle le Boulanger. Jean Dieu, la Vache, le Mon Filleul, la Ma filleule sont les satellites qui gravitent autour de Maît’Louis jusqu’au dénouement final.
Le r’bouteux est quelqu’un d’estimé, de craint. Lionel-Edouard Martin les connait bien, lui qui a dédié ce roman à deux d’entre eux. Je les connais aussi pour avoir souffert de moult entorses, zonas, brûlures. Vous arrivez plié au carré, vous sortez droit comme « le bâton de la justice ». Oui, ils prennent le mal de ceux qu’ils soignent, c’est également ce que me dit mon copain r’bouteux.
Les villageois ont les pieds sur terre, ici ce serait plutôt dans la neige. Ils n’élucubrent pas, ils se connaissent tous, savent les défauts, les fautes, les vérités, les bons, les bêtes, les méchants. L’entraide est un sport qu’ils connaissent parfaitement.
Vous, de la ville, ne savez pas que tout ceci existe encore ; que nous, qui vivons à la campagne, qui ne faisons pas qu’y habiter, avons la chance d’avoir le bon côté de la modernité (faut quand même pas exagérer, Internet, c’est bien) et le bon côté de la ruralité avec l’entraide, la vie simple…. et le r’bouteux !
Lionel-Edouard Martin a une écriture gourmande (les pages 45,46 font saliver), une prose bienheureuse, simple mais pas simpliste pour un sou, riche, colorée, sensible. Les racines le retiennent à ce pays. Il y a du Giono, du Fallet, du Chabrol dans cet homme. J’ai lu ce conte en dégustant chaque page, chaque mot jusqu’à une fin que je ne vous dévoilerai pas.
Un très, très bon moment de lecture. Je remercie Le Vampire Actif de m’avoir permis ce belle lecture pleine d’humanité dans le cadre de l’opération organisée par .
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Quelques extraits :
Les meubles ont bien deux siècles ; les éviers ressuent d’antiques eaux grasses. Et c’est bien comme ça. Pourquoi vouloir changer ? Le monde moderne pénètre les campagnes : mais posément –la coulée de miel. Il faut le temps de briser les inventions- comme on brise, le faisant à son pied, le soulier neuf et ça demande pas de graisse et d’enjambées.
L’étage, quand on peine à se mouvoir, demeure un couillon faignant.
Ça ne marchait pas à tous coups –la rebouterie, il faut y croire, et ça ne soigne que certaines choses. Les esprits forts repartaient avec leur lumbago, les bossus restaient bossus. Mais par exemple ceux qui souffraient d’arthrose ils allaient mieux ; ses paumes au Louis Maître buvaient aussi les entorses, les rhumatismes, les chauds refroidis, jusqu'aux déformations des petits drôles quand leurs os n’étaient pas encore trop durs.
… Tu sais comment on greffe ? Porte-greffe, greffon ? Maît’Louis, c’était le porte-greffe et la maladie c’était le greffon, mais au final ça donne une seule et même plante, celle qui s’agrippe à la terre avec toutes ses racines et c’est elle qui porte les branches, les feuilles, les bourgeons, les fruits, tout ce qui donne du travail à la sève et qui la fait souffrir.
La rue sentait le pain, le bon pain d’aube annonciateur du jour, un chant de coq d’odeur de pain.
Ça leur fait rejoindre un univers archaïque, cette mangeaille toute à symboles, et ils n’en sont pas dupes. Les plus instruits –comme du reste les plus instinctifs- saisissent pleinement la signification de leur gourmandise : manger oui, mais prendre dans sa bouche, sur sa langue, déstructuré par la salive, l’épars, l’erratique tohu-bohu de l’univers et tâcher d’en faire du sang, du muscle et du gras. Même chose pour le pain : ils ne sont pas de ces goulus qui vous l’avalent tout rond, sans y penser.
On ne dirait pas, comme ça : mais l’odeur du pain c’est comme l’odeur de l’herbe sèche ou de la vendange, rien qu’à la humer, concentrée comme une eau lourde, elle vous trouble la cervelle.
Dans cette terre il faut imaginer le blé qui se détend, s’étire comme un qui se réveille et se frotte les yeux
Il a pris le pain. C’est beau comme il a pris le pain des mains mêmes du créateur –Jean Dieu est créateur du pain. Pain, pin : ces mots pleins d’odeurs jusqu’au fort de l’hiver. C’est comme un enfant tiède qu’on échangerait contre un peu de monnaie.
On n’est jamais seul avec la pâte : elle vous raconte des histoires de taille-crayons, de grelets, de sauterelles. Elle gagne sur le monde. On y replonge les bras : mais rien à faire contre cette expansion, contre ce langage de fête –contre cette effervescence ; et on capitule devant la joie