Adriana Lisboa - Bleu corbeau
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Bleu corbeau
Adriana Lisboa
Traduit du brésilien par Béatrice de Chavagnac
19/09/2013
224 pages
ISBN 9782864249085
4ème de couverture :
Après la mort de sa mère, Evangelina décide de quitter Rio pour les États-Unis, où elle est née treize ans auparavant, et d’y retrouver son père. En compagnie de Fernando, l’ex-mari de sa mère, et d’un petit voisin salvadorien, Carlos, elle recueille les souvenirs des autres pour organiser sa propre histoire. Au cours de ce voyage à travers le Colorado et le Nouveau-Mexique, en écoutant les récits de Fernando, qui a fait partie d’une guérilla maoïste en Amazonie dans les années 70, elle prend conscience du passé du Brésil.
Dans un style sobre et élégant, Adriana Lisboa nous propose une réflexion sur l’appartenance et la construction de soi. Tous ses personnages sont en transit, ils habitent tous des lieux précaires, mouvants, parlent des langues qui ne sont pas les leurs, les mêlent. Elle raconte ces mémoires provisoires, faites de souffrance bien sûr mais aussi remplies d’amitiés sincères, et termine ce roman au moment où la vie de son héroïne commence vraiment, où elle occupe dans le monde un espace qui lui appartient.
L’auteur (source Editions Métailié) :
Adriana Lisboa est née en 1970 à Rio de Janeiro.
Après des études de musique et de littérature, elle devient enseignante puis auteur et traductrice. En 2001, elle publie Des roses rouge vif prix José Saramago en 2003.
En 2007, en commémoration de l'élection de l'UNESCO de Bogotá comme ville capitale mondiale du livre, le Bogotá 39 Project l'a choisie comme l'un des trente-neuf écrivains latino-américains âgés de moins de trente-neuf ans les plus importants.
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Quel tempérament cette Evangelista ! Sa mère vient de mourir, elle vit chez sa tante mais a décidé de prendre sa vie en main. Elle veut retrouver, grâce à son père putatif -qu’elle n’a jamais vu, ne connait pas du tout- son géniteur. Un échange s’engage avec Fernando et la voici partie pour le rejoindre dans le Colorado. Elle n’a que treize ans !! « Ce n’était pas une aventure. Ce n’était pas des vacances, ni une diversion, ni un passe-temps, ni un changement d’air, je partais aux Etats-Unis pour habiter chez Fernando avec un objectif bien particulier en tête : chercher mon père ».
Ces deux là vont apprendre à se connaître. Fernando se dévoilera à la jeune adolescente comme il ne s’est jamais confié. Il déposera son fardeau à ses pieds. Elle découvrira l’homme qui a aimé sa mère et, à travers lui, l’histoire du Brésil.
La gamine passe d’une ville bruyante, bruissante, arborée, luxuriante, humide, colorée à Denver chaude et sèche en été, froide et ventée en hiver, avec peu de verdure, vide, terne.
Ce n’est pas un récit linéaire, il va au fil des pensées d’Evangelista, des « confessions » de Fernando. Jeune homme, il fut activiste, il a combattu au nom d’un idéal gauchiste qui a fait de nombreux morts au Brésil et qui est passé sous silence. Des pages dures, certainement encore plus dures pour les oreilles d’Evangelista.
Evangelista nous parle de filiation, du choix du sol, de l’exil choisi ou subi. Au contact de Fernand, ce père qu’elle s’est choisie et qui la sauve d’une certaine solitude, elle suit le parcours de sa mère jusqu’à retrouver sa grand-mère et… trouver son propre chemin.
Bleu corbeau est plein de la vitalité d’Evangelista. Adriana Lisboa d’une écriture délicate et fine transmet les émotions sans avoir à nous faire sortir les mouchoirs, ce que j’apprécie énormément. Elle sublime le quotidien de Fernando, Evangelista, Carlos. Pas de super-héros dans ce livre, tout est juste, justement écrit. Les personnages sont humains, pas geignards, ils essaient de vivre le mieux possible.
Un très bon roman fin, séduisant, fort bien écrit, comme je les aime. Merci Jostein
Quelques extraits :
J’avais besoin d’un nid de quiétude, de non-évènements, d’un moment durable, long, d’un moment de la taille de nombreux moments, de tous les moments nécessaire pour être tranquille et ne pas devoir donner des noms aux choses auxquelles je ne voulais pas donner de noms.
Je regardais l’atlas. Le nom de Colorado me plut. C’était un état rectangulaire bordé par d’autres Etats rectangulaires.
Il se passe un phénomène curieux quand on reste trop longtemps loin de chez soi. L’idée qu’on a de ce chez-soi –d’une ville ou d’un pays- se décolore comme une image en couleur exposée tous les jours au soleil. Mais on n’acquiert pas tout de suite une autre image pour la remplacer.
Même si les Brésiliens se sont toujours très clairement positionnés dans cette histoire : halte-là, nous ne sommes pas des immigrants hispano-américains. D’ailleurs, vous n’avez qu’à regarder notre visage, nous sommes bien différents en terme de biotype et nous ne parlons pas espagnol, nous parlons portugais. POR. TU. GAIS. (A l’école, je devais remplir un papier en indiquant mon groupe ethnique. Les options étaient : CAUCASIEN. HISPANO-AMERICAIN. NATIF AMERICAIN. ASIATIQUE. AFRO-AMERICAIN. Et moi, j’étais où dans cette histoire ?)
En quarante ans, des gamines appelées Evangelina viennent au monde. Grandissent face à la mer de Copacabana. Ne se méfient de presque rien. N’ont jamais vu d’éclipse. N’ont jamais assisté à un raz-de-marée, ni à un tremblement de terre, ni à un ouragan. Elles ne rêvent jamais d’Amazonies humides où un jour des guérilleros communistes se sont retranchés, mouillés, salis, amourachés, ont tiré, ont été touchés par des tirs, ont été faits prisonniers, ont subi des tortures et, une fois morts, ont été enterrés là, quelque part.
A l’entrée été inscrite une phrase de Jorge Luis Borges : J’ai toujours imaginé le paradis comme une espèce de bibliothèque. Un endroit qualifié de paradisiaque ne devait pas avoir besoin d’agents de sécurité.
Mais la peur qu’on a éprouvé une fois est un vaccin à l’envers : elle prédispose à la maladie. Elle est là, aux aguets. Comme un sucuri prêt à dévorer sa proie, prêt à la saisir, prête à la traîner jusqu’au fleuve, ou alors, de manière plus scientifique, prêt à ola serrer un peu plus fort chaque fois qu’elle expire jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus remplir ses poumons d’air. Le sucuri n’a pas de venin. Son arme, c’est l’oppression.
Est-ce que les maisons se purgent de leurs ex-habitants avec l’arrivée des nouveaux habitants ? Ou reste-il plusieurs couches de fantômes dans leur mémoire. Comme des papiers peints superposés ? Est-ce que les maisons ont de la mémoire ?