Tabish Khair - Comment lutter contre le terrorisme islamiste dans la position du missionnaire
-
Comment lutter contre le terrorisme islamiste dans la position du missionnaire
Tabish Khair
Traduit par Antonia Breteuil
22 octobre 2013
296 pages
ISBN : 978-2-916136-68-4
4ème de couverture :
Aarhus, au Danemark. Le narrateur, un Pakistanais athée et pragmatique, vit en colocation avec Ravi, un Indien flamboyant et sceptique, et Karim, Indien lui aussi, qui partage son temps entre son travail de chauffeur de taxi et sa pratique austère de l’islam. Alors que le narrateur tente de se remettre de son récent divorce et que Ravi tombe éperdument amoureux d’une Danoise, les trois hommes se retrouvent brusquement mêlés à une affaire où règnent soupçons, méfiance et peur. Karim est-il le dangereux terroriste que le narrateur voit en lui ? Pourquoi disparaît-il si régulièrement ? Dans ce roman audacieux, Tabish Khair met en lumière, avec humour et vivacité, la mince frontière entre foi et fanatisme, jugement et préjugé, destin individuel et histoire collective.
L’auteur (source éditions du sonneur) :
Poète, romancier, journaliste, critique littéraire, Tabish Khair est professeur de littérature à l’université d’Aarhus, au Danemark. Né à Gaya, dans le Bihar, en 1966, il a publié son premier recueil de poèmes, Where Parallel Lines Meet, en 2000 chez Penguin. Son premier roman, Apaiser la poussière, publié aux Éditions du Sonneur en 2010, fut sélectionné pour le Encore Award, prix décerné par la Société britannique des Auteurs. Il collabore régulièrement à divers journaux et magazines britanniques, américains, indiens, danois… tels The Guardian, Outlook India, Times of India, The Independent, The Wall Street Journal, etc.
==========
Tout commence par un bocal, une branlette dans une voiture pour la bonne cause de la survie de l’espèce humaine, un bocal en plastique surdimensionné et une voiture de police. Alors, où est le terroriste ? Non, ce n’est pas celui auquel vous pensez. Un début sur les chapeaux de roue !
Dans un style narratif, le bien-nommé narrateur Pakistanais d’origine musulmane, mais athée, pragmatique et professeur de littérature anglaise raconte sa cohabitation avec Ravi, un indien fortuné de la caste des brahmanes, thésard à ses heures. Karim, indien également, mais de confession musulmane, vivant son Coran à la lettre, propriétaire de l’appartement est le troisième larron. « Karim était notre aîné de plus d’une décennie. Comme Ravi il était indien ; comme moi, il était musulman. Contrairement à moi, il croyait en Dieu et ses prophètes, surtout le dernier d’entre eux ; contrairement à Ravi, il ne se mettait pas dans tous ses états à propos de ce que l’Occident avait fait subir au reste du monde, ainsi que Ravi aimait à le dire. » Dans cet immeuble habite également, à l’étage au-dessus, le Grand Claus, sa femme Pernille et leurs deux filles. Leur ami le Petit Claus fait également partie du groupe, ils ont leur importance.
Tout ce petit monde se côtoie, s’invite, s’évite, enfin bref, cohabitent tant bien que mal, dans la petite ville d’Aarhus, au Danemark, jusqu’à ce que la machine s’emballe. Chacun a ses idées bien arrêtées, ne cherchant pas trop à s’ouvrir ou ouvrir les yeux sur l’autre malgré l’exigüité des lieux.
Ravi et le narrateur vivent une vie normale pour nous. Ils sortent, vont dans les cafés, cherchent l’âme sœur pour un instant seulement. Karim quant à lui, vit sa vie, fidèle aux préceptes du Coran. Chaque vendredi il organise, dans son salon-chambre, des réunions, sorte d’école coranique.
Le narrateur se pose des questions ; et si Karim était un terroriste ou affilié à une section islamiste agissante ? C’est vrai, quoi, plusieurs fois par mois il disparait plusieurs jours, a toujours besoin d’argent…. Plutôt louche en ces temps discutables et discutés. Est-ce son esprit « verre à moitié plein, à moitié vide » comme son ami le décrit qui fait que cette suspicion est présente. Ravi, son prénom lui va si bien, ne connait pas ces hésitations, il fait partie de la catégorie « verre plein à déborder » et accepte Karim comme il est.
Un jour, suite à la sortie des caricatures de Mahomet dans un journal, le journaliste est agressé par un Somalien. Les choses deviennent sérieuses lorsqu’ils découvrent qu’il s’agit d’Ibrahim, un habitué des vendredis de Karim.
Le narrateur décide d’aller à la police, non pour dénoncer « leur ami », mais raconter leur quotidien chez Karim, puisque, bien sûr, il ne pouvait, selon les journaux, rumeurs… n’être qu’un dangereux islamiste dévoué à Al-Qaïda.
Et bien non, Karim n’est pas celui que l’on pense. Oui, il est très dévot, oui, il suit à la lettre les préceptes du Coran. S’ils s’absentent inopinément, s’il a un réel besoin d’argent, c’est pour s’occuper de quelqu’un qui lui est très cher ; son épouse qui vit maintenant dans son monde à elle et qui l’appelle lorsque la raison lui revient pour quelques heures ou quelques jours.
J’oubliais les Claus petit et grand. Là également, il y a mauvaise interprétation. Ce n’est pas pour une femme que Grand Claus décide de divorcer, mais pour vivre avec Petit Claus, son amour depuis si longtemps. Alors que la famille se liguait contre lui pensant à une autre femme, épouse et filles acceptent avec joie ce coming-out cette révélation. Nos amis ont faux sur toute la ligne.
Le Danemark n’est pas en reste, nos deux acolytes critiquent joyeusement les habitants de ce pays nordique avec leur foi calviniste,
La frontière entre la foi pure et dure et le fanatisme religieux est plus mince qu’une feuille de cigarette. Le narrateur n’aurait certainement pas soumis Karim aux questions des policiers s’il y avait eu une ouverture entre eux, une envie de se comprendre ou simplement de se connaître. Ils sont restés dans le superficiel, vivant chacun pour soi alors qu’ils vivaient en communauté. « Ce que j’éprouvais, c’était l’impossibilité de toute conversation, comme s’il m’avait fallu hurler par-dessus un vacarme niagaresque pour me faire entendre de Karim Bhai : ce qui nous serait parvenu aux oreilles n’aurait pas été les mots que je voulais, ni les mots qu’il aurait prononcé, mais une sorte de grossière pantomime. Non que nous refusions de parler, mais toute conversation était rendue impossible par le Niagara de soupçons, de préjugés et d’effronterie qui cascadait autour de nous. ».
Tabish Khair dénonce, non sans humour, l’individualisme, les jugements hâtifs, les préjugés qui ont la vie dure, quel que soit le pays où l’on vit. Les idées reçues, les informations envahissantes, les on-dit, les à-peu-près font souvent du mal et ce livre en est la preuve.
Le style narratif, sans aspérité de ton, est habilement corrigé par les nombreuses saillies des deux amis, le narrateur et Ravi. C’est un livre agréable et très facile à lire, puis à méditer. Les préjugés et jugements hâtifs font partie de l’âme humaine ; « chassez le naturel, il revient au galop » dit un de nos proverbes.
Quant à la position du missionnaire est-ce celle de Karim Bhai avec ses réunions du vendredi ? Est-ce la position du narrateur ? Est-ce la passivité, le dilettantisme de Ravi ?
Livre lu dans le cadre de l’opération organisée par et les éditeurs indépendants . Je remercie pour ce livre très intéressant. Un plus pour l'élégance de la couverture.
Quelques extraits :
Mais le Danemark était différent, affirmait-il. C’était le seul pays de l’hémisphère ouest où quatre-vingts pour cent des femmes craignaient encore de sortir avec un homme de couleur, et où toutes les autres, à l’exception d’un pour cent, ne cherchaient à sortir, si possible, qu’avec des hommes de couleur.
Tu sais, espèce de foutu poundé, tu prends le chemin de tous ces foutus négros. A une époque, ils sont arrivés en Europe, ont exhibé les chaînes invisibles de l’esclavage sous les yeux des femmes blanches, ont fait du battage autour du rythme inné et de la nature animale de l’homme, et ils les ont toutes joyeusement embrochées avant que les Blancs aient même le temps de se racler la gorge pour protester.
L’Unibar est la tentative timide que l’université d’Aarhus a mise en place pour exorciser le fantôme du passé calviniste du Danemark qui rôde parfois dans ce pays, même encore aujourd’hui. Les cafétérias de l’université ferment à seize heures et il n’y a ni bar ni pubs décent dans les environs, chose que Ravi trouvait impossible à concilier avec l’idée qu’il se faisait de la vie sur un campus.
Je me montre généreux avec elles, ô homme stupide, a-t-il répliqué. Si je sors avec une seule femme, elle risque de s’investir davantage dans notre relation amoureuse, et quiconque s’investit dans une relation amoureuse va droit à la faillite.
Karim s’est absenté plus longtemps qu’à l’accoutumée. Il n’a pas réapparu avant le surlendemain. A son retour, il avait l’air visiblement épuisé. Son visage était plus pâle et, chose inhabituelle, ses cheveux courts et clairsemés, et sa barbe fournie, grisonnante, étaient ébouriffés. Mais, comme à l’ordinaire, il n’a rien voulu révéler de ce qu’il avait fait ne de l’endroit où il s’était rendu.
Loin de moi l’idée de donner l’impression que ces détails étaient aussi suspects qu’ils en ont l’air au moment où je rédige ceci. Il est important de préciser ce point, même si je suis sûr que ma petite amie titulaire d’une maîtrise de création littéraire aurait sévèrement critiqué pareilles explications.
Mais l’intérêt de Karim Bhai pour ces évènements – que je préférais appeler la Révolution du jasmin, et que Ravi, beaucoup plus sceptique, qualifiait de Tornade Twitter – était fort différent du nôtre.
Dès l’instant où tu mets les pieds dans ce pays, ils te racontent qu’ils ont réussi à faire sortir clandestinement tous les juifs du Danemark quand les nazis ont voulu les rassembler. Ils oublient de mentionner que c’est un officier allemand qui a divulgué les projets nazis à la résistance danoise, un mouvement en majorité communiste, interdit par le gouvernement danois. Ils oublient de dire que les seuls, à l’exception de ces pauvres cons d’Allemands, à avoir formé un régiment SS au complet étaient ces bons Danois aux yeux bleus !