Olivier Bleys - Concerto pour la main morte
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Concerto pour la main morte
Olivier Bleys
Editions Albin Michel
240 pages
Octobre 2013
ISBN : 9782226249661
4ème de couverture :
« La vie n’est qu’un tissu d’à-peu-près, de décisions hâtives, de situations instables sur lesquelles on bâtit pourtant un mur en plâtre qu’un coup de poing peut traverser. »
À Mourava, hameau perdu de Sibérie centrale, Vladimir Golovkine n’a qu’un rêve : prendre le bateau pour Krasnoïarsk, la grande ville en amont du fleuve. Mais faute de pouvoir s’offrir un billet, c’est un étranger qu’il voit débarquer dans sa vie : Colin, un pianiste raté dont la main droite refuse d’obéir dès qu’il se met à jouer le concerto nº2 en do mineur de Rachmaninov.
À la frontière du récit et de la fable, Olivier Bleys, l’auteur de Pastel, créé ici un univers poétique où le tragique côtoie l’absurde. Histoire de vodka et de mystère, de musique, d’amitié entre les hommes, ce livre jubilatoire nous invite à cultiver la joie plutôt que la tristesse.
L’auteur :
Olivier Bleys est l'auteur de plusieurs essais, récits de voyages, bandes dessinées et romans comme Pastel (Prix François Mauriac de l'Académie française) ou Le Maitre de café (Grand prix SGDL du roman?).
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Ce livre m’est arrivé du nord de la France grâce à Lana qui le fait voyager
Première surprise en ouvrant le livre, il débute par le paragraphe 6, étonnant non ! Et cela ira décrescendo pour se terminer avec le chapitre 1. Est-ce parce qu’une autre histoire pourrait débuter, ou la fin de quelque chose que je ne dévoilerai pas ?
« Le petit village se nommait Mourava, ce qui traduit de l’ancien russe donne à peu près « la jeune herbe » ». Ici habitent quelques familles vivant de chasse, de pêche et de vodka. Les hommes n’ont pas de sang dans les veines, mais de la vodka qu’ils distillent eux-mêmes avec on ne sait trop quels ingrédients, mais qui s’avère très efficace.
Vladimir Golovkine détonne dans ce milieu. Il essaie tant bien que mal, de nettoyer le village, mais comme le tonneau des Danaïdes, c’est mission impossible. « Un homme qui nettoyait au lieu de boire ne pouvait qu’éveiller les soupçons de ses congénères. On ne l’aurait pas jugé plus sévèrement de broder des chemises ou d’enfiler des jupes ».
Ce n’est pas Sergueï qui dira le contraire, lui qui est toujours plein comme une barrique de rhum vodka « Du matin au soir, on voyait le dénommé Sergueï, toujours vêtu d’un uniforme gris râpé aux coudes, somnoler sur la troisième marche de son logis, hors d’atteinte des cochons dont les groins velus fouaillaient la boue sous l’escalier. »
Au débarcadère, alors que Volodia cherche à tout prix à embarquer, descend un voyageur ; Un français dont on ne sait ce qu’il vient chercher ici. Un français avec un piano ! oui, vous avez bien lu. Colin Cherbeaux se retrouve locataire chez Vladimir Golovkine (c’est sûrement la maison la plus propre du village). La contraste est rude pour Kolincherbo (c’est ainsi que le nomme Volodia) « Du coin de l’œil, Colin inspecta la couverture crasseuse jetée sur le matelas, genre de capote militaire en feutre gris, ravaudée partout, dont les plis bourdonnaient de mouches ».
Colin Cherbeaux est arrivé en ce lieu perdu pour essayer de guérir, d’oublier, sa main qui se paralyse toujours au même endroit lorsqu’il interprète le concerto n°2 de Rakhaminov. « Le pianiste eut une grimace. Avec sa main gauche encore valide, il souleva la droite, réduite à l’état de marotte incapable, qu’il présenta au Sibérien comme un animal tend sa patte meurtrie par le piège ».
Ces deux-là vont s’apprivoiser sous les regards envieux des autres villageois. Oleg, ex-futur cosmonaute, autre personnage qui interviendra dans la vie de Kolincherbo est un concentré d’humanité doublé d’un amoureux des livres.
A mi-chemin du conte, de la farce, ce roman est un vrai enchantement. Enchantement des paysages enneigés, enchantement du texte. Olivier Bleys force un peu le trait sur les habitants de ce hameau, j’ai souri plus d’une fois, il y a de la poésie, de la farce, de l’humeur, de l’absurde, tout cela servi par un très beau texte.
Une belle pépite d’émotions, de rêve, de charme et d’émotions. Un des bons romans de cette rentrée 2013
Ils l'ont lu : Mimi - Yv - Libfly -
Quelques extraits :
… Et me voilà, à huit mille kilomètres de la France, débarqué d’un bateau russe dans un village que je ne connais pas, dans une cabane qui se chauffe au charbon et dot l’occupant me regarde comme une bête curieuse. Un piano : c’est la seule chose ici qui me soit familière. Pourquoi ce village, plus qu’un autre ? Pourquoi cette maison, et non la voisine ? Comme la vie est drôle. »
C’est ça, jouer du piano : discipliner deux bêtes sauvages qu’on porte au bout des bras, leur apprendre à non d’après leur instinct, mais selon sa volonté ! « assis, couché, au pied, tranquille… » Les mains doivent exécuter tes ordres ! Or, figure-toi deux chiens de chasse que tu aurais dressés avec patience, à qui tu aurais enseigné l’arrêt et la course, parmi cent tours utiles –et qui un jour, sans crier gare, te bondissent à la gorge ! Voilà ce qui arrive à mes mains…
« A Mourava, le verre de vodka était l’attribut des hommes respectables. Inversement, le balai, l’éponge, la serpillère, tous les ustensiles et produits du ménage leur étaient défendus, parce que avilissants et contre-nature. »
« Pour rien au monde Sergueï n’aurait pris part à ces séances de nettoyage. Hilaire, soit tétant le goulot, soit essuyant sa barbe arrosée d’eau-de-vie, il considérait son cousin à genoux
-Volodia qu’el drôle de bonhomme tu fais ! Es-tu sûr qu’il t’ait poussé quelque chose entre les jambes ?
- tais-toi abruti. Et lâche cette bouteille.
- quoi ? Te voilà par terre à fouiller ces merdes, comme une femme essuie les vomissures de son ivrogne ! »
« Le piano est là, quelqu’un doit s’en servir », fit Barnabé, le père, dont les sentences avaient l’éclat et la rareté de paillettes d’or dans le limon des jours.
Il n’y a que deux façons de passer le temps, ici. C’est l’alcool et les histoires.
Ce piano, c’est ta vie ! Tu transpireras dessus sans relâche tu te donneras corps et âme… ce sera dur et long. Mais un jour, tu t’en rendras maître, comme d’un cheval rétif soumis à coups d’éperons ! le petit Mendelssohn l’a bien fait tu peux le faire aussi. »
A cause de ce toucher brutal, les pianos de la famille Cherbeaux avaient une espérance de vie limitée, inférieure en tout cas à la moyenne de leurs congénères. Après trois ou quatre années de mauvais traitements, la plupart rendaient l’âme, victimes d’un accident fatal comme la rupture de la table d’harmonie ou la dislocation complète du clavier. De la sorte on pouvait retracer l’histoire de la famille, rien qu’en inventoriant les pianos abîmés ou détruits par Colin.
Telle est la grâce de cette famille d’instruments : aucune note n’y joue toute seule, elles chantent ensemble ! comme nous voudrions, nous les hommes, que nos pensées et nos sentiments trouvent un aussi bel écho chez nos congénères ! »
L’âme d’Oleg est aussi nette que sa cabane. Si la tienne est souillée, il t’aidera peut-être à faire le ménage. C’est un homme très intelligent et très fin. D’ailleurs, parmi les gens qui l’apprécient, il a reçu un sobriquet : Lego, pour Oleg, parce qu’il connaît l’agencement de l’âme humaine et sait la démonter pièce à pièce.
Oleg passait son temps à lire, des volumes en tous gendres qu’il classait dans sa bibliothèque par nom d’auteur et consommait avec un zèle inlassable, du premier au dernier. Il avait aussi réuni une riche collection de disques qu’il jouait au volume maximum, terrorisant les animaux des kilomètres à la ronde.
Goûtez-moi cette merveille ! Du sucre, de l’eau, de la levure… fermentation de dix jours… et au sortir de l’alambic, ces petites perles coulantes qui mettent l’âme en joie ! Dieu bien sûr est complice d’un tel miracle !